Mortelle randonnée

Claude Miller, 1983 (France)




Le premier plan nous met la tête dans une caisse d’objectifs pour appareil photo. Puis la caméra se déplace et lie ses engins de vue à un homme assis (Michel Serrault) penché sur un vieux cliché. On comprend de ce pauvre hère qu’il est le père d’une fille perdue. Perdue au milieu d’une photo de classe ; disparue un jour avec sa mère et jamais revue. Alors il scrute les visages sur cette photo et ce regard est tout ce qui lui reste pour renouer avec son passé de père. Dans sa profession, détective dans une agence, le bonhomme est surnommé « l’Œil ». Il est voyeur et nous avec : les filles en maillot dans le jardin de l’hôtel, les liaisons amoureuses parfois lesbiennes, le sang dans la baignoire, les meurtres.

L’Œil est aussi amateur de mots croisés et les solutions qui lui sont soufflées pour compléter ses grilles, à la manière de la partie de Scrabble qui met les mots « doubt » ou « murder » sous les yeux de Joan Fontaine (Soupçons, Alfred Hitchcock, 1941), éclairent étrangement l’affaire criminelle dont il se charge bientôt. Ainsi, « richesse » indique le mobile qui pousse la femme fatale suivie à laisser un macchabée sur chacun des lieux fréquentés (Patrick Bouchitey par exemple). « Ebloui » ou « trompé » caractérise tour à tour l’enquêteur lancé à la poursuite de cette mortelle beauté (Isabelle Adjani qui nous laisse entre épouvante et désir). Il la suit partout en France, à Baden-Baden ou à Rome et la laisse d’abord agir. Pire, il la protège (ou la convoite) en jetant Sami Frey, un aveugle (!), sur un camion parce qu’il envisageait de l’épouser. L’Œil observe la jeune femme et s’en rapproche dangereusement. Il tisse à distance un lien affectif avec la meurtrière, celui insolite d’un père et de sa fille qui répèterait ses crimes avec nonchalance. De cette façon, le personnage de Serrault comble un manque. Pourtant, au final, l’Œil perd aussi bien la criminelle qui se suicide en voiture que la photo à laquelle il était tant attaché. Il lâche alors quelques mots sur sa fille, Marie, bel et bien morte il y a des années.

Ce n’est pas la première fois chez Miller qu’une fille fascine et happe le regard : L’effrontée (1985), La petite voleuse (1988), La petite Lili (2003). En outre, dans ce dernier, Miller recourait à nouveau au pendentif comme identifiant (un capricorne pour Isabelle Adjani, un petit éclair pour Ludivine Sagnier). Notons aussi l’usage qu’il fait des téléviseurs dans ses plans : toujours branchés sur des programmes animaliers, ils permettent de caractériser les personnages et leurs humeurs (un gros lézard lorsque Guy Marchand entre dans le champ, un vol d’oiseaux avant la fuite et le suicide du personnage d’Adjani…).

Les acteurs, y compris les nombreux rôles secondaires, sont tous convaincants (ceux déjà cités ainsi que Geneviève Page, Jean-Claude Brialy, Macha Méril, peut-être un peu moins Stéphane Audran grossièrement enlaidie par un faux dentier). Serrault est épatant en homme fatigué aux commentaires tristes et acerbes. Les cuivres de la bande originale composée par Carla Bley accentuent le suspense et contrastent avec la mélodie de La paloma successivement fredonnée par Adjani et Serrault. Le scénario co-écrit par Michel Audiard (un de ses derniers) et Jacques Audiard (son tout premier) nous entraîne sur une sombre intrigue policière. Miller crée une ambiance austère et y baigne un personnage complexe qu’il serait maladroit de trop hâtivement juger.

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