Le monstre des temps perdus (The beast from 20 000 fathoms)

Eugène Lourié, 1953 (États-Unis)




Sur le pôle, sous un champignon nucléaire, un rhédosaure refait surface. Tiré de son sommeil glacial et animé par Harryhausen, le saurien, à l’instar de King Kong (Schoedsack, Cooper, 1933), vient s’installer à New York, une patte à Broadway, l’autre à Wall Street. Depuis 1945, les Américains ont une fascination pour l’atome qui n’est pas sans ambiguïté. Aussi, même si le nucléaire déclenche la catastrophe, c’est aussi le nucléaire qui y mettra un terme (un « isotope radioactif » tiré par Lee Van Cleef). Ce n’est pas le cas au Japon : le cousin oriental engendré l’année suivante par les radiations de bombes atomiques (Godzilla, Honda, 1954) est lui détruit grâce à une autre invention, le « destructeur d’oxygène » (les Japonais ayant été directement plongés sous le feu nucléaire et ne possédant pas la bombe, les scénaristes prudents n’ont pas souhaité en faire usage).



Eugène Lourié insère une scène étonnante dont le symbole paraît trop évident pour ne pas être intentionnel. Le paléontologue à la recherche du saurien descend en bathyscaphe dans les profondeurs océaniques et assiste au combat entre un requin et une pieuvre [1]. Mais les plus petits se faisant toujours bouffer par les plus gros, ils se font happer par le rhédosaure qui traînait par là (une scène similaire dans La menace fantôme de Lucas, 1999). Requin capitaliste contre pieuvre soviétique anéantis en pleine confrontation par une force qu’ils créent mais ne contrôlent pas (l’URSS fait exploser sa première bombe atomique en 1949), quelle plus simple parabole pour décrire la situation politique et la crainte sociétale ?


[2]


Pour la séquence finale, Lourié trouve un site remarquable pour y faire périr la bête : un parc d’attraction où, dans un gigantesque brasier, des montagnes russes s’effondrent sur l’animal irradié. Aussitôt on s’interroge : que nous dit le premier film de monstre de l’ère atomique ? S’agit-il d’une déclaration sur la puissance du divertissement (hollywoodien) capable de mettre fin à toutes les peurs ? Ou du contraire : finis les loisirs de l’immédiat après-guerre car partout maintenant doit régner la peur [3] !





[1] Ce que les films de monstres n’hésitent pas à recycler encore aujourd’hui : Mega shark vs. giant octopus de Jack Perez, 2009.

[2] Affiche de 1936-1937 commanditée par le Comité de propagande des Républicains nationaux et analysée par Alexandre Sumpf sur le site de L’Histoire par l’image. Une autre pieuvre communiste sur l’European navigator : Parti populaire autrichien (ÖVP) et dangers du communisme en 1949.

[3] Plusieurs images de la population courant affolée dans les rues et d’une voiture jetée par le monstre sont montées dans le court-métrage Mant ! de Joe Dante (Panic sur Florida Beach, 1992).

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3 commentaires à propos de “Le monstre des temps perdus (The beast from 20 000 fathoms)”

  1. « Requin capitaliste contre pieuvre soviétique anéantis en pleine confrontation par une force qu’ils créent mais ne contrôlent pas? »
    On songe à Docteur Folamour aussi en lisant cela, malgré le choix d’un registre très différent de la part de Kubrick. Mais ce dernier montre pour sa part, avec son cynisme habituel, que les responsables de la naissance du monstre atomique s’en tireront toujours (à la fin, les dirigeants américains décident de se réfugier dans des mines avec quelques dizaines de jeunes femmes attirantes pour permettre à la race humaine de survivre).

  2. Concernant la symbolique de la scène finale je ne me prononcerai pas, cela dit ce n’est pas Lourié qui imaginera la scène puisque lui et ses scénaristes butaient sur la fin du film. C’est finalement Harryhausen lui-même qui suggérera que l’action se déroule à Coney Island.

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