Le Tigre du Bengale (Der Tiger von Eschnapur) / Le Tombeau hindou (Das indische Grabmal)

Fritz Lang, 1959 (Allemagne, Italie, France)

Le réalisateur de Metropolis (1927) et de M le Maudit (1931) a 70 ans quand, revenu tourné en Allemagne, il se lance dans la réalisation du Tigre du Bengale et du Tombeau hindou. Il s’agit d’un diptyque (les deux films sont tournés en même temps) mais pas de son premier, souvenons-nous des Nibelungen ; la fresque qui dure près de cinq heures, composée de deux parties distinctes (La Mort de Siegfried et La vengeance de Kriemhild), avait été tournée en 1924. Les aventures exotiques proposées ici durent moins longtemps, un peu plus de trois heures tout de même.

Le temple maudit

Fritz Lang, sur la fin de sa carrière, fait un film mineur mais impressionnant de beauté, ce qui vaut pour le décorum et aussi pour l’actrice, Debra Paget dans le rôle de la danseuse Sitha. Ce qui est montré de l’Inde est une carte postale coloniale qui nous rappelle assez les mystères envoûtants et les passions destructrices du Narcisse Noir de Powell et Pressburger. Cependant, alors que le film des Britanniques de Archers datent de 1947, il y a, avec le diptyque de Lang plus de dix ans après, le sentiment d’une production quelque peu anachronique, tout du moins hors du temps. Il faut préciser justement que le Tigre et le Tombeau sont basés sur le roman de Thea von Harbou paru quarante ans plus tôt. L’histoire d’ailleurs avait déjà adaptée à deux reprises durant l’Entre-deux-guerres. La première est une version muette, Das indische Grabmal zweiter TeilDer Tiger von Eschnapur de Joe May (1921). La deuxième, Der Tiger von Eschnapur, signée Richard Eichberg, est parlante (1938). C’est pourquoi on s’étonnera si peu de lire sous la plume du critique Philippe Demonsablon cette pique sur le rapport du film à son temps : « Pourquoi au XXe siècle entreprendre le voyage aux Indes et en rapporter l’image que s’en formait le XVIIIe siècle, l’esprit en moins ? »*

Beauté fatale (Debra Paget)

Au-delà, sans analyser nullement le film pour lequel on peine à voir autre chose qu’un récit d’aventures, le diptyque enchaîne des tableaux en lien avec d’autres images, d’autres histoires et d’autres genres dont il s’inspire éventuellement et que lui-même, pour les réalisations qui lui sont postérieures, a pu certainement inspirer.

James Bond… En fait Henri Mercier (Paul Hubschmid) ou plutôt Harald Berger pour l’international (les Français étant les seuls à avoir changer son nom).

Mercier… L’archétype de l’aventurier au flambeau.. ou peut-être Tintin ?

Une danseuse excitant tigres et cobras, un prince dictateur détourné de ses projets de construction d’écoles et d’hôpitaux mu par une passion érotique et funeste, un architecte allemand voulant sauver la demoiselle du maharadja fou, sa sœur et son beauf à la rescousse tandis qu’un complot politico-religieux cherche à détrôner le souverain… Un palais, des appartements transformés en prison, des couloirs organisés en labyrinthe, des trappes et des fosses, sans parler des plans et des maquettes des architectes, comme si ces derniers avaient été d’abord là pour explorer les secrets des lieux. Les Européens toujours prêts à convoiter les mystères de l’Orient… Puis une traque en forêt, une chasse à l’homme, un supplice dans l’arène…

Scheherazade dans Les mille et une nuits
L’assaut de morts-vivants (les lépreux cachés dans les galeries souterraines du palais)
L’antre d’Arachnée (ou l’araignée du prophète ?)
Irrésistiblement pulp
Et dans le prolongement de la précédente.

* Cité dans l’excellent article de Catherine Weinberger-Thomas, Catherine, « Le tigre mis au tombeau : l’Inde-objet de Fritz Lang », dans L’Inde et l’imaginaire [en ligne]. Paris : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1988 (page vue le 2 fév. 2023). Référence elle-même trouvée grâce à la critique de Jean-Luc Lacuve sur le CinéclubdeCaen.

RSS
Follow by Email
Twitter
Visit Us

2 commentaires à propos de “Le Tigre du Bengale (Der Tiger von Eschnapur) / Le Tombeau hindou (Das indische Grabmal)”

  1. Un film ayant un côté kitch à souhait et tellement harmonieux sur le plan visuel que l’on en oublie la « pauvreté » des dialogues.
    Debra Paget avait déjà joué des rôles exotiques (Hawaïenne, Indienne) cependant, elle n’avait jamais été aussi érotique 😉

    • Aux yeux des studios, le physique de Debra Paget lui a permis d’être crédible aussi bien en Indienne d’Amérique, qu’en princesse asiatique ou arabe. J’ai bien dû la remarquer dans Les Dix Commandements quand j’ai vu le film enfant, mais je n’avais pas retenu son nom. Je note aussi, en zieutant sa filmo, La flibustière des Antilles de Tourneur (1951) et me remet La malédiction d’Arkham de Corman (1963) à l’esprit.

Répondre à Benjamin Fauré Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*