Le seigneur de guerre

Franklin J, Schaffner, 1965 (États-Unis)

Un groupe de chevaliers arrive sur un bout de plaine marécageuse. Plus loin, le littoral que surveille dressé dans le brouillard un donjon aux murs épais. Chrysagon de la Cruz chevauche devant ses hommes. Il s’est vu offrir un fief par le duc de Normandie. Son suzerain lui a également donné pour mission d’imposer son autorité sur le village sis près de la tour ainsi que de chasser les Frisons qui, comme les Vikings le siècle précédent, ravagent le territoire de leurs incursions. Cependant, le charme d’une blonde villageoise sème le trouble et n’arrange rien aux relations entre les gens du lieu et les guerriers venus dominer.

Le seigneur de la guerre jouit en général d’une assez bonne réputation auprès des historiens (Georges Duby par exemple). Le film décrit en effet un moment assez peu considéré au cinéma puisque l’action se passe au XIe siècle. Il le fait dans un soucis de reconstitution fidèle : représentation de la place forte et du logis seigneurial, des armes et des costumes, fidèles aux images connues de l’époque, essentiellement à travers la broderie de Bayeux. Dans son livre, Le Moyen Âge au cinéma (Paris, Armand Colin, 2015), F. de la Brétèque relève d’ailleurs les différents sujets qui vont particulièrement intéresser l’historien dans le film : le début de la mise en place des relations féodo-vassaliques, la démythification de la figure du chevalier (par rapport aux productions hollywoodiennes des années 1950), la confrontation de deux religions, à savoir le christianisme du seigneur et celui accommodant d’une communauté villageoise encore attachée à des rites païens anciens.

Ce qui ne retire rien à l’analyse de F. de la Brétèque, à bien y regarder toutefois, cette fidélité historique peut-être facilement mise à mal. D’abord les Frisons (the Frisian raiders) posent problème. Ce peuple évangélisé à l’époque de l’Empire carolingien et plutôt fixé au Nord de la Germanie n’a que trop peu à voir avec les littoraux décrits. Alors pourquoi les trouver ici à mener des raids dans cette portion du Nord de la France ? Tout le récit est surtout basé sur un droit seigneurial qui n’a en fait jamais existé au Moyen Âge en tant que tel. Ainsi, Chrysagon (Charlton Heston) tombe sous le charme de Bronwyn (Rosemary Forsyth) qui lui fait tourner la tête alors qu’elle doit bientôt se marier. Le seigneur fait donc valoir son « jus primae noctis », autrement dit son droit de cuissage, dont un prêtre dans le film rappelle qu’il est condamné pour hérésie. Pourtant depuis le film, les historiens ont démontré que ce droit n’est qu’une invention de juristes modernes et Alain Boureau en a détaillé les reprises et les détournements postérieurs, ainsi par des catholiques et des républicains au XIXe (A. Boureau, Le droit de cuissage. La fabrication d’un mythe XIIIe -XXe s., Paris, Albin Michel, 1995).

En dehors de cette question de la représentation du sujet médiéval, F. de la Brétèque glisse un mot sur la possible interprétation qui peut être faite d’un film américain qui questionne le pouvoir (exercé a fortiori sur un territoire étranger), alors que les États-Unis sont engagés depuis dix ans déjà dans la guerre au Vietnam. Mais il y a aussi quelque chose de plus spirituel qui peut-être se trouvait dans la pièce de théâtre dont le film est une adaptation (The Lovers de Leslie Stevens qui date de 1956). L’histoire oppose d’abord de la Cruz à Draco (les noms ont du sens). C’est son frère qui combat à ses côtés mais qui finit par s’opposer à lui et incarner un mal dont il faut se débarrasser (il est joué par Guy Stockwell). Chrysagon de la Cruz n’est cependant pas une figure héroïque comme Le Cid pouvait l’être (c’est Heston qui jouait aussi ce personnage dans le film de Mann en 1960). Schaffner prépare plutôt le chevalier à s’accomplir un peu comme Perceval dans le roman de Chrétien de Troyes. Seigneur qu’il était, Chrysagon finit par renoncer à tout : à la tour, aux terres qui lui appartiennent et à Bronwyn, la femme qu’il aime (« I can’t take you to that… that far place, not for a while. I’ll be with you, always. Wherever you go. »). Néanmoins, le seigneur amoureux ne la quitte pas pour un soi-disant voyage chez son suzerain. C’est plutôt sa propre mort que le chevalier annonce à sa femme : il perd son sang et on le sait mourant. Quand il quitte le village, Chrysagon s’est déjà engagé sur une autre voie, celle de son dénuement.

Le seigneur de la guerre a ses limites. Outre la reconstitution, les acteurs auxquels on ne parvient pas du tout à s’attacher gêne davantage. Heston a un jeu très pesant. Les autres ne valent pas mieux (sauf Richard Boone, le fidèle Bors). De même, la musique de Jerome Moross, intrusive, omniprésente, toute claironnante, fatigue vite le spectateur. Pourtant, le spectateur tire malgré tout plaisir du savoir faire dans les décors, de la longue scène du siège de la tour, et surtout de la dernière séquence dans laquelle le seigneur retrouve raison et se prépare secrètement à la mort. En outre, dans l’ensemble des productions sur le Moyen Âge, les thèmes traités donnent aujourd’hui encore son originalité au film de Schaffner.

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7 commentaires à propos de “Le seigneur de guerre”

  1. Je n’ai jamais vu cet objet de curiosité pour historien universitaire, mais comme j’ai une certaine estime pour le duo Heston/Schaffner au regard de leur voyage commun vers une fameuse planète de primates, je me dis que ce « seigneur de la guerre » peut être un choix de visionnage judicieux. D’autant qu’à en juger par certaines remarques ci-dessus, il ne semble pas totalement dénué de qualités.

    • Pas dénué de qualités, non ! Le spectacle de la première partie est réussi. Et le comparer à La planète des singes fait trois ans plus tard doit permettre en effet de signaler des points communs : un questionnement sur le pouvoir par exemple et même sur la position du colon…

  2. Je connaissais la réputation « historique » du film mais j’en ignorais les détails. Pour moi, qui adore ce film, c’est avant tout un grand film romanesque avec de belles scènes de bataille. Je suis sous le charme de Heston (qui joue comme souvent les hommes plus grands que nature mais il le fait bien) et de Rosemary Forsyth. La scène où il se fait opérer et où elle joue l’anesthésie, c’est quelque chose. Et j’avoue que je me passe souvent la partition de Moross, me délectant du « love theme ». C’est mon côté fleur bleue :). Bref, beaucoup plus enthousiaste pour ce film méconnu.

    • J’ai réécouté le thème de « Chrysagon and Bronwyn« … Sur ce morceau, il est vrai que Moross laisse davantage en paix la section des cuivres.

      Pour Heston, je n’y arrive pas. Sauf dans les dernières scènes où ce qu’il fait pour sa femme et ce qu’il lui dit me touchent davantage.

      Et de Schaffner à présent, j’ai très envie de voir une autre représentation très imparfaite du Moyen Age dans un autre film méconnu, Lionhearth (1987).

  3. Je l’ai revu avec mes enfants ce soir, c’est toujours un grand plaisir mais je conçois que c’est un peu « sur le fil » et que l’on puisse ne pas adhérer. J’avais une expérience de ce type avec Excalibur, un groupe lors d’une séance qui n’avait pas du tout marché à la geste boormanienne.

    Heston, c’est un peu pareil. Moi je l’aime bien dans ses rôles de surhomme comme dans Le Cid ou Kartoum. Il a toujours cette assurance du chef légitime qui est mise à mal par les événements. Là, face à cette femme improbable, je trouve qu’il fait bien ressortir ce qui le trouble.

    Sinon, sur le moyen âge, il y a un film que j’aime beaucoup, c’est le Huston Promenade avec l’amour et la mort.

    • Lionhearth, je ne connaissais pas du tout, et je demande à découvrir. Quant au Huston, j’abonde dans le sens de Vincent.

      En ce qui concerne Heston, son autorité naturelle est sans cesse mise à mal dans les films, qu’il soit flic dans le monde demain, prisonnier des grands singes, ou Major Yankee convoyant des rebelles du Sud.

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