La sagesse des crocodiles

Po-chih Leong, 2000 (Royaume-Uni)

Invisible à l’œil nu, ce n’est pas un protiste ou une amibe, c’est un animal passé maître dans l’art de la dissimulation : le vampire. Ne cherchons pas le nom, celui-ci n’est jamais prononcé. Steven Grlscz, nom imprononçable comme celui qui permettrait d’identifier sa nature véritable, est comme un crocodile enfoncé dans les marécages, plutôt un caïman leucistique tapis dans la jungle urbaine. Le dandy se souvient de sa noble race, amateur d’art et de belles images, d’antiquités et collectionneurs de jolies femmes. L’être n’en est pas moins monstrueux. Également débarrassé des oripeaux de ses ancêtres, belle dentition, aimant à profiter du soleil quand il arrive jusqu’au sol de Londres, sans aucune croyance religieuse et pas davantage avec une croix sous les yeux, le fils de la sangsue reste pourtant animal.

Paul Hoffman, à qui l’on doit l’écriture du scénario, développe une mythologie originale autour du sang et des émotions que le liquide vital charrie et parfois concrète. Les calculs fabriqués par les reins résulteraient de la haine, de la terreur ou de la répugnance, d’après ce que l’on apprend au détour d’un dialogue. Par une sorte d’action psychosomatique, les cellules marquées par une émotion forte, contenue ou refoulée, se cristalliseraient au point de devenir matière minérale. Sans changer d’état, le sang peut lui-même contenir un sentiment marquant. Steven Grlscz (Jude Law), lui, ne survit que s’il ingurgite pas succion du sang qui aurait longtemps macéré dans le sentiment amoureux. Parmi ses victimes, Anna Levels (Elina Löwensohn) que le beau ténébreux séduit et ménage, qu’il fixe même dans le temps.

Le récit fait avec les reliquats du mythe du vampire, l’amour pour assurer la survie et se jouer de la mort. Jude Law ne peut donc plus donner son sang (ce qu’il faisait dans Gattaca, Nichols, 1997) et Elina Löwensohn, presque habituée aux suceurs de sang (Nadja d’Almereyda produit par Lynch, 1994), n’est pas seulement la jeune fille au portrait. Elle est le philtre à la portée du monstre assoiffé. La réalisation est froide et sans effet, loin de la forme sophistiquée des Prédateurs (Scott, 1983) ou de l’aventure lugubre et lyrique d’Entretien avec un vampire (Jordan, 1994). Un ou deux passages plus faibles dans l’écriture et la mise en scène (la bande de voyous ou le revirement de Steven qui décide in extremis d’agresser Elina) affaiblissent un film qui parvient néanmoins à ses fins. On pourrait dire que La sagesse des crocodiles raconte l’histoire d’un organisme défaillant, d’une mue qui entre modernisme et romantisme coûtera la vie au grand reptile.

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2 commentaires à propos de “La sagesse des crocodiles”

  1. J’en ai beaucoup entendu sur ce reptile hémophile, mais je ne me suis jamais aventuré dans son marigot.
    A lecture de cette chronique, il se rappelle à mon bon souvenir, par sa singularité dans le folklore abondant des suceurs de sang.
    Je me dis donc qu’une transfusion serait souhaitable.
    Merci du conseil.

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