La mort prend des vacances / Trois jours chez les vivants (Death takes a holiday)

Mitchell Leisen, 1934 (États-Unis)

Une ombre se glisse Villa Felicità. Là quelques gens distingués accueillis par le duc Lambert (Guy Standing) conversent entre eux sans se soucier de rien. Mais la mort en personne a jeté son dévolu sur ces élégants, cédant cette fois aux mystères qui depuis trop longtemps l’assaillent. La mort est incarnée par Fredric March qui lui prête son charisme ainsi qu’un accent d’Europe de l’Est qui n’est pas sans rappeler d’autres ténébreux. Dans son noir linceul, elle observe les humains et s’interroge sur leurs comportements, leurs motivations et sur la peur qu’elle-même inspire.

L’introduction au milieu d’une fête de village est brève et belle. Elle permet la présentation des acteurs de façon originale, les uns et les autres se faisant passer des bouquets de fleurs après les avoir achetés (Helen Westley, Henry Travers, Gail Patrick…). Ils forment tout un groupe avec duc et duchesse, baron et princesses, du beau monde affairé à des frivolités, tuant joyeusement le temps. Alors qu’un seul mouvement de caméra lie tout ces gais aristos, le plan suivant place Grazia à part (Evelyn Venable). En prière, plus dévouée que ses pairs, elle est aussi par contraste plus mystérieuse et diaphane.

L’apparition de la faucheuse est préparée. C’est d’abord une ombre qui course les grands fortunés. Puis un hurlement dans le jardin et l’évocation d’un vent glacial qui sème la panique parmi les convives. Enfin, cette silhouette sombre au fond de l’image qui lentement approche. La scène absolument irréelle est plaisamment impressionnante. Mais la mort revêt forme humaine et, une fois introduite dans le cercle des aristocrates, la voilà pour trois jours d’observations et d’expériences sous les traits de l’irrésistible prince Sirki.

Le troisième film de Mitchell Leisen, réalisateur que je découvre ici, est adapté d’une pièce de théâtre italienne d’Alberto Casella, La morte in vacanza. La pièce fut reprise sur les planches de Broadway et avait rencontré un certain succès. Une fois passées les premières scènes, le fantastique de Leisen se tourne vers une comédie de mœurs qui offre un drôle de cocktail : de l’humour noir (le récit des catastrophes qui, la mort en vacances, épargne toutes les vies), le surgissement de l’effroi (la sublime Alda, Katharine Alexander, découvrant la fin de tout en plongeant ses yeux dans ceux de Sirki) et de la romance (la mort elle-même confrontée à l’amour).

En outre, Leisen accorde aux manifestations surnaturelles une importance qui confère au film une parenté gothique, ce que confirme d’ailleurs l’opulence des décors étranges (des lions énormes taillés dans la pierre, des arcades d’un autre âge, un tombeau médiéval et de gigantesques tentures). La direction artistique a été confiée à Hans Dreier et Ernst Fegté qui travaillent à plusieurs occasions avec Leisen, mais on sait ce dernier sensible aux décors pour avoir lui-même travaillé dessus au sein de la Paramount avant de réaliser (par exemple sur L’empreinte du passé de DeMille en 1925).

Les inquiétants événements qui se déroulent décident deux femmes à coucher ensemble pour se rassurer. Auprès de Sirki, attirées comme des papillons par la lumière, et un peu excitées aussi par l’exotisme de leur hôte, les princesses multiplient les tentatives de séduction… Tourné juste avant que le Code Hays ne soit appliqué, on se demande si les situations décrites auraient résisté à la censure quelques mois plus tard. Déjà singulier, La mort prend des vacances n’en paraît que plus précieux. Sans compter ce final grave et solennel qui déstabilise toute la comédie humaine.

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2 commentaires à propos de “La mort prend des vacances / Trois jours chez les vivants (Death takes a holiday)”

  1. C’est donc avec elle que tu as passé tes vacances !
    Je n’ai pas encore croisé la route de ce réalisateur (sinon par le biais des costumes qu’il fit faire sur mesure au « voleur de Bagdad » et « Cléopâtre », encore que Claudette Colbert en portât de bien légers dans la sublime version DeMille), mais je sens que je devrais tant la description que tu fais de ces « trois jours chez les vivants » semble ciselé pour mes yeux. Je ne sais pas si le film est aisément trouvable ?

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