La mort de Louis XIV

Albert Serra, 2015 (France)




« Louis étoit si aagé
qu’il paroissoit qu’il ne pouvoit plus mourir »
Montaigne, Essais, Livre I, chap. LVII, « De l’aage »





Le roi ne danse plus. Son pied a noirci comme du charbon et le mal lui ronge le reste de la jambe. Louis XIV est celui des rois qui a eu le plus long règne en France. Albert Serra lui offre la plus longue agonie à l’écran. 2h30 durant, l’astre n’en finit plus de s’éteindre… quoique le Roy souffrit quinze jours entiers avant de trespasser. A Versailles, aux derniers rayons du soleil, le spectateur assiste à un cortège de médecins de cour, de physiciens de l’université qui se succèdent, tous mélangeant dans leurs échanges des conseils variés et discordants, se satisfaisant de leur place plus que de leurs compétences et faisant appel en ultime recours… à un charlatan. Lorsque ce dernier est convoqué, les préoccupations, on le devine, ne sont plus le salut du corps du roi, car on ne croit plus réellement en un possible nouveau remède, mais davantage la mise à disposition d’un responsable tout désigné au moment de l’aggravation de la santé de Louis devenu trop vieux.


« Quelle resverie est-ce de s’attendre de mourir d’une défaillance de forces que l’extrême vieillesse apporte, et de se proposer ce but à nostre durée, veu que c’est l’espece de mort la plus rare de toutes et la moins en usage ? » Montaigne, Essais, « De l’aage »


Dans une photographie d’or comme tous les décors du château, mobilier, cadres et plafonds, et brune comme la maladie qui s’y répand, le roi Léau, prince de la Nouvelle Vague, est désormais alité. Son souffle est bien court et son appétit très mesuré (un biscottin au vin d’Alicante est péniblement porté jusqu’à sa lèvre), à tel point que toute la cour estoyt en grand soucy, les grands chiens du roi plus sincères que les nobles toutefois qui eux se pressent autour du futur cadavre, se pâmant devant le chapeau baissé d’un salut royal comme d’une bénédiction.

Ce qui impressionne c’est l’opiniâtreté de Louis XIV (ou de Léaud) ses derniers jours de l’été 1715. Albert Serra paraît même mettre en scène la défiance du roi, regard caméra, long, son expression qui s’installe dans la durée, bouche fermée et resserrée, un sourcil peut-être froncé, à moins qu’un pli du front ne soit par la mollesse des muscles relâché et tombé sur le dessus de l’œil, le roi fixe le spectateur d’un air de dire : « N’ayez plus de doute : vous crèverez avant moi ». Albert Serra, réalisateur du Chant des oiseaux (2008) et de l’Histoire de ma mort (2013), propose la contemplation d’un orgueil tout puissant et tout à la fois sa tragique agonie.


« Mourir de vieillesse, c’est une mort rare, singulière et extraordinaire, et d’autant moins naturelle que les autres; c’est la dernière et extrême sorte de mourir : plus elle est esloignée de nous, d’autant est-elle moins esperable; c’est bien la borne au-delà de laquelle nous n’irons pas, et que la loy de nature a prescript pour n’estre poinct outrepassée ; mais c’est un sien rare privilège de nous faire durer jusques là. » Montaigne, Essais, « De l’aage »


Et le soir tombé, 400 coups sur les planches martelés, Louis disparût et le cinéma rayonnait.





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2 commentaires à propos de “La mort de Louis XIV”

  1. La mort de Louis XIV aurait aussi pu servir d’appui, de manière plus métaphorique, à l’analyse du critique Richard Brody, « A documentary that explains the dearth of innovative young french filmmakers » parue dans le New Yorker au début du mois. Ma revue du film de Serra coïncide à quelques jours près avec la sortie de ce texte et surtout de ces réactions en France ; lire par exemple celle de Jean-Marc Lalanne dans Les Inrocks

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