La fille du RER

André Téchiné, 2009 (France)

Inspiré d’un fait divers surmédiatisé en 2004, La fille du RER est aussi et surtout l’adaptation de la pièce de théâtre RER de Jean-Marie Besset, qui est ainsi devenu dialoguiste du film. On y suit le parcours de Jeanne (Emilie Dequenne), jolie jeune fille insouciante qui passe plus de temps à faire du roller qu’à chercher du travail. Elle vit dans un pavillon de banlieue, près d’une ligne de RER, avec sa mère Louise (Catherine Deneuve) qui tente également de lui trouver un emploi. Elle essaye de la pistonner auprès de Samuel Bleistein (Michel Blanc), un avocat juif renommé qu’elle a connu dans sa jeunesse. Pendant ce temps, Jeanne a une liaison avec Franck (Nicolas Duvauchelle), lutteur et beau parleur. Avec lui, elle trouve un job d’été de gardiennage mais Franck ne lui dit pas tout sur les circonstances de ce boulot qui vont vite tourner mal, entraînant leur séparation et une première rencontre avec la police (sans conséquence pour la jeune femme). Perturbée et fragilisée par ces événements, Jeanne invente maladroitement une agression à caractère antisémite dont elle aurait été victime dans le RER afin d’attirer l’attention sur elle. Malgré l’incohérence de ses propos (sa mère voit qu’elle ment), le fait divers imaginaire n’est visiblement pas vérifié et les médias s’emparent de l’affaire qui prend une proportion incroyable, surtout lorsque les politiques s’en mêlent…

Bien qu’on aurait pu le croire, le fait divers n’occupe pas toute l’histoire. Au contraire, il n’intervient qu’aux trois-quarts du récit qui est divisé en deux parties (« Les circonstances » et « Les conséquences »). Il ne s’agit absolument pas d’une reconstitution de cette affaire, André Téchiné s’étant plutôt focalisé sur la personnalité de Jeanne, son amour pour sa mère et son nouveau petit ami. Le fait divers est un point de départ pour le réalisateur mais le film est une pure fiction. Le thème de l’identité juive est aussi au cœur du scénario, puisque Jeanne échafaude son plan après avoir vu un reportage sur la Shoah. Elle adopte donc inconsciemment la persécution en guise d’appartenance au peuple juif.

André Téchiné retrouve pour la sixième fois Catherine Deneuve (Hôtel des Amériques en 1981, Le lieu du crime en 1985, Ma saison préférée en 1993, Les voleurs en 1996 et Les temps qui changent en 2004), éblouissante de naturel, adoptant un ton très juste, tout en retenue. Emilie Dequenne, à la fois mystérieuse, naïve et un peu perdue est aussi sublimée par la caméra du cinéaste qui parvient, malgré le sujet lourd, à donner un sentiment de légèreté… En tout cas, par le ton très libre qu’il adopte, il n’alourdit pas inutilement le propos. La fille du RER n’a certes pas l’ambition de devenir le film de l’année, il n’en demeure pas moins pleinement réussi.

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3 commentaires à propos de “La fille du RER”

  1. Bien que le véritable fait divers ne soit qu’une source d’inspiration, toute l’histoire se construit bien autour de cet événement. A tel point qu’il est situé au centre du métrage, clôturant la première partie « Les circonstances » et nécessairement source de la seconde (« Les conséquences »). L’agression factice est bien le fait autour duquel Téchiné tisse la toile émotionnelle et sociale sur laquelle ses personnages prennent place. En dépit des errances de Jeanne, je ne vois rien d’anecdotique dans le récit, ni digression, ni égarement. La mise en scène de Téchiné est à la fois simple et sophistiquée. Plusieurs plans sont magnifiques. Emilie Dequenne est superbe. Moins didactique que Les témoins (2007), La fille du RER est toutefois aussi un film moins intense que Les temps qui changent (2004).

  2. Je reviens sur ce que j’ai dit.

    Il y a plusieurs éléments secondaires qui gravitent autour du fait divers et de sa genèse. La relation Blanc-Deneuve, celle de Mathieu Demy et de Ronit Elkabetz… Téchiné présente trois couples : un qui se forme et qui casse (Emilie Dequenne et Nicolas Duvauchelle), un couple possible (Michel Blanc et Catherine Deneuve) et un troisième qui était séparé et qui se reforme (Mathieu Demy et Ronit Elkabetz). Un quatrième couple émergerait presque entre le garçon de 13 ans et Jeanne.

    La Bar Mitzvah, qui est inscrite dans un montage parallèle avec la garde à vue de Jeanne, souligne par contraste l’enfermement et la solitude de Jeanne.

    Pourquoi les rollers ? Paradoxalement, par ce moyen, la fille n’en est pas plus ancrée au sol. Elle en devient aérienne ; ce qui s’accorde avec son tempérament, rêveuse, insouciante… Ce détachement de la réalité participe à l’explication de son acte. Elle agit sans penser aux conséquences négatives que cela peut entraîner. Elle le fait pour elle et espère, après avoir rompu avec son copain, un peu d’amour en retour.

    La première image est celle d’un long tunnel, que l’on traverse dans le noir et dont on sort. Il s’agit à la fois de dire l’épreuve vécue par Jeanne et dont elle se tire tant bien que mal. Ce tunnel symbolise également le passage d’un problème qui relève de l’intimité, le mal être d’un individu, à son exposition publique, ce dont rend compte le film.

    En revanche, aucune solution n’est apportée au mal être.

  3. Pour éclairer d’un autre regard la partie de ton commentaire suivant : « La Bar Mitzvah, qui est inscrite dans un montage parallèle avec la garde à vue de Jeanne, souligne par contraste l’enfermement et la solitude de Jeanne. »

    Voici ce que j’ai trouvé sur Allociné qui m’a paru intéressant :

    « Le thème de l’identité juive
    Au coeur du mensonge de Jeanne, il y a le désir de devenir juive sur le mode persécutif. Pour elle, l’appartenance à la collectivité passe par la garde-à-vue et la sanction de justice. A l’opposé, il y a la question de la Bar Mitsvah de Nathan. Pour ce dernier, l’expérience identitaire passe par la cérémonie religieuse. »

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