JSA (Joint Security Aerea)

Park Chan-wook, 2000 (Corée du Sud)

Pour enquêter sur des meurtres à la frontière entre le Nord et le Sud de la Corée, et afin d’éviter qu’une guerre n’éclate entre les deux sœurs ennemies, la commission de supervision des nations neutres (NNSC) mandate deux officiers sur les lieux, un Suédois et une Suisse d’origine coréenne (Christoph Hofrichter et Lee Young-ae). Quelques jours avant, à Panmunjeom, en pleine zone de sécurité (la JSA), deux gardes nord-coréens ont été assassinés. On connaît le tueur : un militaire du Sud qui a déjà fait ses aveux. Pour se protéger, ce dernier, le sergent Lee Soo-hyeok (Lee Byung-hun), a prétendu fuir le poste frontière où il était retenu prisonnier. Pourtant, les raisons de sa détention et les circonstances exactes du double assassinat restent obscures. Aux officiers de la NNSC de tenter de comprendre ce qu’il s’est passé et cela, si possible, sans ajouter à l’extrême tension qu’il y a déjà sur la zone.





« Je voulais que JSA débute comme un film de genre et bascule dans des atmosphères différentes jusqu’au final. L’idée était de plonger d’emblée le spectateur dans une ambiance énigmatique. Il y a d’abord ce hibou en gros plan qui s’envole avec en fond une image de synthèse assez visible. Puis, il y a ce plan du pont de Non-Retour, la pluie qui commence à tomber. Enfin, survient, hors champ, le drame. On entend des coups de feu. Une balle dessine un trou dans la paroi. Si le hibou s’approchait il pourrait voir à l’intérieur ce qui se passe. C’est bientôt ce que va faire, le major Sophie Jean pour éclaircir cet épais mystère. » (dossier de presse 2018)

Park Chan-wook suit d’abord l’enquête menée pas à pas par les officiers étrangers. Puis, alors que l’enquête a bien avancé, il dévie de cette ligne pour revenir en un long flash-back aux circonstances réelles qui ont précédé la tuerie et notamment aux relations entre deux soldats sud-coréens et deux autres du Nord (parmi eux l’acteur Song Kanh-ho, que nous avions découvert dans Memories of murder de Bong Joon-ho). De cette manière, d’une amitié tout à fait incongrue (et interdite par les autorités d’un côté comme de l’autre) au bain de sang qui fait « incident diplomatique », le réalisateur met au point un film dont le scénario habile et la structure rigoureuse ne se révèle que progressivement.





Alors que les contraintes pèsent sur les soldats des deux pays, le récit veut que la propagande ne les ait pas totalement assujettis. De la défiance à un début de camaraderie, il laisse surtout du temps aux situations (« un drame de l’intime maquillé en thriller tortueux » écrit Thomas Baurez dans le dossier de presse 2018). C’est aussi pourquoi le spectateur finit par s’attacher aux personnages. En fait, au-delà du cliché, dans leur uniforme et figés comme des piquets à leur poste de surveillance, ces quatre soldats affichent une sévérité de façade. Tous comptent leurs jours de service militaire obligatoire (d’une durée de deux ans en Corée du Sud, dix en Corée du Nord…). Et chacun ne rêve que de distractions modestes, comme un moment entre copains, un échange de cassettes de musique, ou même une provocation amusée sur la ligne frontière.





Par ailleurs, on décèle avec JSA plusieurs points communs avec le cinéma de Tarantino et on suppose des influences réciproques. En 2000, exception faite d’un premier film moins connu, Tarantino n’avait réalisé que Reservoir dogs (1992), Pulp fiction (1994) et Jackie Brown (1997). Mais on voit assez facilement dans JSA les influences asiatiques bis qui sont aussi celles de Tarantino : longues scènes dialoguées, goût pour la violence brute et sanglante, recours à des chansons rétros et puzzle narratif. Ce n’est donc probablement pas pour rien, que le réalisateur de Kill Bill, devenu en 2004 président du 57e festival de Cannes, récompensera Old boy et décernera à Park Chan-wook le Grand Prix du Jury.

JSA est un tournant dans la carrière du cinéaste. Après deux premiers films sans grands moyens, une commande avec une vedette pour adolescent et un autre film un peu décalé que le réalisateur lui-même considère comme plutôt manqué (Positif, mai 2008, entretien avec Park Chan-wook), JSA plus travaillé, plus personnel, rencontre un certain succès en Corée. C’est également avec JSA qu’il gagne une plus grande rigueur dans sa préparation du tournage (il utilise pour la première fois, ce qu’il fera systématiquement ensuite, un story board très complet dont il ne s’écarte presque pas au tournage). Le film, enfin, se fait le témoin à sa façon d’une période de rapprochement entre les deux Corée. En effet, après les affrontements ponctuels mais bien réels de la fin des années 1990 entre les deux pays, Kim Dae-jung et Kim Jong-il discutent à nouveau et se mettent d’accord par exemple sur une aide économique du Sud à l’égard du Nord. Situation qui ne semble plus possible avec Kim Jong-un. D’ailleurs, dans la filmographie de Park Chan-wook, la période qui suit (2002-2005) n’est plus aussi généreuse envers ses personnages et le sang versé n’est plus celui que de vengeances terribles.




Notons que JSA, qui est totalement inédit en salles en France, sort le 27 juin 2018 au cinéma, distribué par La Rabbia.

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