Le jour où la Terre s’arrêta

Robert Wise, 1951 (États-Unis)




Le meilleur du film est dans le générique d’introduction où davantage la musique de Bernard Herrmann qu’un diaporama spatial nous confronte avec les mystères de l’univers. Sur l’orchestre impressionnant, pianos et harpes répandent leurs notes cristallines tandis que le theremin (instrument d’origine soviétique donc tout à fait extraterrestre !) suggère l’approche d’un inquiétant visiteur [1].

Klaatu (Michael Rennie) a posé sa nef astrale à Washington, dans la capitale politique américaine plutôt que dans la capitale économique mondiale (Le jour où la Terre s’arrêta façon Derrickson). Il a fait le voyage jusqu’à la Terre avec l’intention de s’adresser à une assemblée des dirigeants de la planète, autrement dit aux membres de l’ONU. Pourtant le siège des Nations Unies, ce que sait Keanu Reeves en 2008, est à Manhattan. Alors pourquoi Washington ? Guidé en ville par un enfant, Klaatu se rend au Lincoln Memorial pour y apprécier le discours de Gettysburg. A cet instant, le visiteur laisse entendre au spectateur qu’il partage avec lui les mêmes valeurs et fait croire à ses « bons sentiments » à l’égard de l’enfant (un père adoptif ?), à l’égard du peuple et de la nation. Mais le monument est un prétexte pour le choix de Washington. Il semble plutôt que Klaatu soit venu d’abord chercher l’accord du président des États-Unis (le cadeau [2]) pour ensuite prévenir les autres chefs d’État du danger de l’arme atomique. La démarche installe ainsi les États-Unis à la tête du monde (cliché du film de SF hollywoodien) et dévalorise de ce fait la toute jeune organisation internationale.

Mettons de côté l’interprétation chrétienne [3] et relevons simplement un paradoxe ou deux d’ordre politique. L’homme de l’espace a une mission : la préservation de la paix. A la différence de l’ONU, il œuvre à l’échelle inter-galactique, s’autorise à titre exceptionnel un droit d’ingérence et, lorsque la situation le justifie, n’hésite pas à passer à l’offensive. D’ailleurs, pour assurer le maintien de la paix, Gort le robot est son principal argument. Sous le costume argenté se cache en effet une arme dont la capacité de destruction dépasse l’entendement humain. Avec ses caractéristiques, exception faite du domaine d’action, l’extraterrestre n’offre pas autre chose qu’une représentation des États-Unis, gouvernés par des démocrates pacifistes rassurés après 1945 de posséder la plus grosse arme (c’est à nouveau le cas au début des années 1950 avec la bombe H). L’extraterrestre s’autorise aussi les moyens qu’il reproche aux hommes qui, de part et d’autre d’un monde bipolaire, n’ont pas trouvé meilleure solution pour garantir la paix que de faire démonstration de leur puissance militaire.





[1] Sur la musique du film, voir l’excellent article de Philippe Langlois « Le Jour où la Terre s’arrêta, Bernard Herrmann et l’innovation sonore » sur L’écran musical. Il raconte notamment les origines du theremin et son utilisation au cinéma (par exemple dans La fiancée de Frankenstein, Whale, 1935).

[2] Quand il descend de sa soucoupe volante, Klaatu entend offrir ce qui aurait permis au président d’étudier la vie sur les autres planètes. Mais, mince, par la faute d’un militaire trop méfiant, l’objet sera cassé, l’extraterrestre blessé et la dangerosité humaine vite prouvée.

[3] Klaatu vient du ciel, évoque « the Almighty Spirit », prend « Carpenter » comme nom d’emprunt, meurt et ressuscite comme Jésus (en 2008, Keanu, lui, marchera sur l’eau !).

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4 commentaires à propos de “Le jour où la Terre s’arrêta”

  1. Moi, je l’aime bien ce film. Et pourtant je suis d’accord presque en tous points avec toi (y compris sur la centrale interprétation chrétienne que tu ne développes pas). Je crois, par ailleurs, qu’il est difficile de se figurer combien ce film marqua l’imaginaire SF d’une génération (on était encore bien loin de 2001, L’odyssée de l’espace).

    Une remarque tirée du livre de Michel Chion sur les films de science-fiction et concernant l’affiche : on y voit « la femme portée » (par l’extraterrestre) ce qui est alors l’un des purs clichés de la SF. Et cela n’apparaît pas dans le film (mais dans certaines photographies promotionnelles).

  2. C’est vrai que je commence par dire la seule excellence du générique et termine par les incohérences, mais dans l’ensemble je me laisse prendre par cette SF de guerre froide. Récemment, de la série de films vus, il n’y a que Les envahisseurs de la Planète Rouge (Menzies, 1953) que j’ai trouvé mauvais. Même L’attaque de la femme de 50 pieds (Juran, 1958) a son charme (bien que mesuré, lui).

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