Jeanne la Pucelle, I-Les batailles

Jacques Rivette, 1993 (France)

17 ans, vierge et fille de paysan, Jeanne acquiert le charisme d’une prophétesse. Elle convainc clercs et puissants, se livre à d’impressionnantes batailles, finit sur un bûcher et devient mythe au fil des siècles. Le cinéma s’est emparé de son histoire dès ses origines (quatre films avant 1900 : Joan of Arc d’Alfred Clark en 1895, Jeanne d’Arc de Georges Hatot en 1898, celui de Méliès entre 1897 et 1900 et Domrémy des frères Lumière en 1899). A la fin du XXe siècle, se tenant loin des images d’Épinal, Rivette ôte à Jeanne l’habit qui fait son mythe et dépouille le récit du merveilleux chrétien qui l’a embrumé.

Jacques Rivette a recours aux documents d’histoire (les textes des procès de condamnation et d’annulation) et aux médiévistes (R. Pernoud et G. Duby). Il aspire à un certain réalisme qu’il restitue effectivement dans la chronologie, dans les décors (la basse-cour d’un château, les chevauchées dans les campagnes) et qu’il approche dans les échanges entre personnages (scénario et dialogues sont signés par Christine Laurent et Pascal Bonitzer)[1]. Malheureusement, le réalisateur hésite entre l’adaptation ascétique (qui valorise le jeu des acteurs et convient parfaitement au thème) et le récit épique (le siège d’Orléans). La mise en scène de ce dernier registre est un ratage complet : l’absence de moyens financiers et de savoir-faire rendent les situations ridicules (le campement de soldats au pied des remparts de la ville, les attaques invraisemblables…). La musique de Jordi Savall à ce moment est navrante (tambours et trompettes), ce qui est dommage compte tenu des bons choix faits ailleurs (les morceaux utilisés sur les génériques de début et de fin, le recours à des compositions du XVe siècle comme celle de Guillaume Dufay). Françoise Michaud-Fréjaville, qui a été la directrice du Centre Jeanne d’Arc, donne son sentiment à propos de la séquence : « on ne peut pas dire que les Tourelles de l’Orléans minable de 1993 satisfasse aux exigences minimales de la conformité historique » [2]…

La première partie, Les batailles, commence par la volonté forte de Jeanne de rencontrer Charles VII. Elle s’achève sur la prise d’Orléans et sur le signe de croix que fait la soldate en armure. Sandrine Bonnaire (qui a alors déjà tourné avec Pialat, Varda, Téchiné, Sautet) incarne brillamment cette jeune femme décidée et persuasive (ce qu’elle n’est plus dans Les prisons racontant la suite et la fin de sa vie). C’est sa performance qui surtout permet d’apprécier l’œuvre bâtarde.





A propos de Jeanne au cinéma :
[1] Philippe Contamine a étudié l’historicité du film dans un article « Jeanne d’Arc, une sainte au cinéma », dans L’Histoire, n°174, février 1994, p. 77-79.
[2] Françoise Michaud-Fréjaville, « Cinéma, histoire : autour du thème « Johannique » », dans Le Moyen Âge vu par le cinéma européen, Les Cahiers de Conques, n°3, oct. 2000, Centre européen d’art et de civilisation médiévale, Conques, 2001, p. 161-183.

Sur le personnage historique et la construction du mythe :
[3] Boris Bove, Le temps de la Guerre de Cent Ans, 1328-1453, Paris, Belin, coll. « Histoire de France », 2009, chap. XV « Entre histoire et mémoire : Jeanne d’Arc, une héroïne disputée ».

Le Centre Jeanne d’Arc d’Orléans propose une bibliographie détaillée et un grand nombre de ressources.

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5 commentaires à propos de “Jeanne la Pucelle, I-Les batailles”

  1. Le propos du réalisateur, dans ce premier volet, est ambitieux et, en effet,comme il est dit, les moyens manquent.

    Les lieux de tournage sont décevants quand il s’agit de châteaux, et l’on ne reconnaît la silhouette d’aucune des forteresses ou des enceintes des lieux par lesquels Jeanne passa : il est vrai qu’il ne reste que des ruines du château d’origine à Vaucouleurs, que celui de Chinon aurait peut-être été trop coûteux à louer, que la salle de réception du château du Milieu où la Pucelle rencontra le Dauphin Charles est réduite à un pan de mur sur lequel est encore suspendue une assez belle cheminée gothique, et que des « Bastilles » tenues par les Anglais devant Orléans il ne reste aucune trace et qu’on ne les connaît que par dessins d’archives ; les remparts de Paris ne sont pas plus vraisemblables d’aspect, et l’on ne montre même pas la tour du Bouvreuil à Rouen.

    A côté de ces lieux mal choisis, il y a le nombre de figurants assez réduit, et des scènes de bataille et de sièges de places fortes très peu convaincantes, j’en conviens tout à fait.

    Mais les atmosphères sont elles assez bien rendues, et je pense notamment aux interrogatoires subis par Jeanne à Poitiers, à la réserve près que ce n’est pas à Jean d’Aulon que Jeanne a dicté sa fameuse lettre aux Anglais – laquelle en réalité ne leur sera expédiée qu’un mois après, en avril 1429 mais qui fut bien ébauchée à Poitiers en mars en présence de Pierre de Versailles, théologien.

    Il manque aussi des indications importantes, comme celle de la présence de René d’Anjou, fils de Yolande d’Aragon, à la cour du duc de Lorraine au moment où Jeanne alla lui rendre visite à Nancy, épisode qui aurait mérité d’être relaté pour la bonne compréhension des événements.

    Nous donnons à Sandrine Bonnaire et à Jacques Rivette de bons points pour la peinture des caractères. On voit que les textes de référence ont été lus et qu’on a eu le temps de s’imprégner vraiment de la psychologie des personnages. En cela, le film est une réussite, alors qu’il est un échec complet dans la description des scènes de bataille.

    François Sarindar

  2. Une des plus belles scènes de ce film : l’instant pendant lequel le jeune page Louis de Coutes remet dans la main de Jeanne la bannière qu’elle lui réclame et qu’il lui tend depuis une fenêtre alors qu’elle a déjà enfourché son cheval et qu’elle se rend au combat alors qu’on a oublié de la prévenir, car on veut la compter pour rien dans les actes guerriers, que les Bâtard d’Orléans, La Hire et Raoul de Gaucourt considèrent comme de leur ressort.

    Et cette superbe image de la cavalière casquée et en armure passant sous un porche.

    Rien que pour ces instants esthétiques et comme pris sur le vif (on croit y être), ce film est une réussite. Je m’exprime plutôt cette fois en qualité de spectateur plutôt qu’en critique historique. Il sera difficile d’égaler le film de Jacques Rivette, volontairement dépouillé.

  3. Le soir du 600e anniversaire de la naissance présumée de Jeanne la Pucelle un 6 janvier 1412 (jour de l’Epiphanie, jour des rois, or cette jenue femme fut Faiseuse d’un roi, ce qui laisse penser que sa date de naissance n’est pas nécessairement celle que l’on nous indique), j’ai regardé une fois encore la première partie du film de Rivette et une chose m’a frappé : c’est que le voyage de Vaucouleurs vers Chinon y est tout ensemble bien et mal traité.

    Certes, on voit et on nomme les compagnons du voyage, Jean de Metz (ou de Novellonpont), Bertrand de Poulengy, un messager du roi Colet de Vienne et d’autres, mais l’on ne parle pas vraiment des lieux par lesquels elle passa, et dont quatre étapes très certaines sont connues : l’abbaye de Saint-Urbain-lez-Joinville, non loin de la Marne ; Auxerre, dans laquelle Jeanne ne craignit pas de prier malgré la présence bourguignonne ; Gien, point de passage de la Loire ; Sainte-Catherine-de-Fierbois ensuite, sanctuaire religieux dans lequel Jeanne honora l’une des saintes qui lui apparaissaient et qui était aussi la patronne des soldats.

    Il nous manque vraiment un grand film vraiment historique et non plus hagiographique sur Jeanne.
    Francois Sarindar

  4. Un souhait pour tout prochain film qui serait réalisé sur l’épopée de Jeanne, si jamais les cinéastes décident que le filon exploité depuis Georges Méliès n’est pas épuisé : que l’on ne passe pas directement de la levée du siège d’Orléans au sacre de Charles VII en la cathédrale de Reims, et que l’on évoque enfin à l’écran la très belle campagne militaire menée contre Talbot, Scales et William de La Pole (comte de Suffolk) par le duc d’Alençon en présence de la Pucelle durant le mois de juin 1429, cette campagne de la Loire dont le plus beau succès est sans doute la bataille de Patay – livrée un 18 juin ! – et brillamment remportée par les Français, grâce à l’action en coup de poing de La Hire contre les redoutables archers anglais rendus ainsi impuissants mais aussi grâce à Arthur de Richemont qui, bien qu’alors en disgrâce, avait désobéi au Dauphin et était venu épauler la victoire ; Jeanne avait sans doute poussé La Hire à agir sans attendre, mais on avait veillé ce jour-là à ne pas l’exposer, car sa présence, dans l’armée, était devenue bien trop précieuse depuis qu’elle avait contribué à forcer les Anglais le 8 mai à s’éloigner d’Orléans qu’ils assiégeaient depuis octobre 1428.

    Oui, Patay mériterait une belle exploitation cinématographique, qui fait défaut dans la filmographie qui a trait à la vie de Jeanne, malgré quelques scènes très rapides visibles dans le film muet où triompha S. Genevois.

    Rivette, lui, décidément impuissant à faire de belles démonstrations, a eu recours à une astuce : il a évoqué cette bataille par le biais des témoignages livrés lors du procès de réhabilitation de Jeanne, qui fut en fait un simple procès en nullité du procès de condamnation.

    Non pas que la guerre soit belle : assez de films nous la montrent dans sa crudité meurtrière, avec le réalisme sanguinaire qui nous la rend définitivement horrible à supporter. Mais parce que l’histoire de Jeanne, contée par le 7ème art, est encore incomplète. Si je dis cela, c’est parce qu’il apparaît bien que Jeanne est un personnage de prédilection, à l’égal d’Alexandre, de César et de Napoléon dans la galerie de grands personnages qui ont les faveurs des réalisateurs et du public, et qu’il serait dommage de passer à côté de certains épisodes essentiels de la geste johannique.

    Un appel et une attente. En souhaitant qu’ils soient un jour satisfaits.
    François Sarindar

  5. Si Jeanne n’exerce pas directement le commandement (privilège des chefs de guerre – attribut qu’elle se serait donné si on se réfère à sa lettre aux Anglais, ce qui nous remet en mémoire la très belle scène de dictée de cette lettre dans le film de Rivette, mais c’est une affirmation de soi qu’elle niera avoir faite quand on l’interrogera à Rouen), alors même si elle n’en a pas le titre, il suffit qu’elle soit mise dans une situation donnée pour qu’elle trouve les solutions appropriées aux problèmes qui se posent sur le terrain et que sa volonté l’emporte sur les lentes prises de décision des hommes guerre, souvent contre-productives. Avec la fougue qu’on lui connaissait, Jeanne emportait tout sur son passage, quand on lui en donnait les moyens, et alors tout le monde, de gré ou de force, lui emboîtait le pas. Cela, deux cinéastes l’ont fort bien mis en évidence : Jacques Rivette (sans la force du nombre de figurants qu’il fallait, mais avec l’énergie johannique la mieux décrite, et Luc Besson (Jeanne d’Arc, 1999) avec ce qu’il fallut à Jeanne de rage de vaincre et de relèvement de défi pour prouver sa valeur aux hommes du métier, ces rudes guerriers, et là le réalisateur a « mis le paquet » en termes d’effectifs en présence et de démonstration de force et d’énergie, belle réussite des deux cinéastes, Rivette pour la justesse psychologique et l’étude de caractère, Besson pour le rendu de situation). A quand une fusion des deux dans une seule oeuvre cinématographique ?
    François Sarindar

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