Je suis un no man’s land

Thierry Jousse, 2010 (France)

Thierry Jousse et Philippe Katerine proposent leur propre définition du no man’s land : une zone d’existence passée et dépréciée qui fait irruption dans le présent. Pour Philippe, cette portion d’espace-temps est à la fois familière (ses parents, le village de son enfance) et étrangère (si loin de sa vie de chanteur populaire). Le passé de Philippe ne lui appartient plus vraiment et devenu no man’s land (territoire sans propriétaire et individu ayant coupé avec son passé), le voilà forcé à une réappropriation qui au début ne l’enchante guère.

Pour introduire cette situation, Jousse adopte un univers plutôt délaissé par le cinéma français, la science-fiction rurale. Si Jousse pouvait découvrir Le gendarme et les extraterrestres (1979) ou La soupe aux choux (1982) de Jean Girault en maintenant une certaine distance avec ces objets (il avait alors une vingtaine d’années), Katerine, lui, à douze ans ou environ, (folle hypothèse) les a peut-être appréciés. Dans Je suis un no man’s land, le réalisateur et le vrai faux acteur semblent adoptés cette attitude à l’égard du genre : Jousse tente de garder ses distances dans l’utilisation ironique d’une SF qui reste lourde et anecdotique, Philippe à l’inverse, patauge dedans. On comprend l’intention, décliner un genre marginal pour évoquer un individu, artiste ou pop star, jouant avec ces marges au point de s’y perdre. Ainsi, Philippe n’occupe le centre que sur scène, un bref instant ; il erre ensuite en forêt, le long des champs, en un lieu impossible, appelé malgré tout à regagner son importance.

En dépit d’un début (la pauvre Judith Chemla comprise) et d’une fin laborieux, Je suis un no man’s land nous conquiert par son centre (s’écartant de Girault pour se rapprocher, à sa façon et par le charme gagné, d’Harold Ramis et de son Jour sans fin, 1993). Où dans leur ferme isolée Aurore Clément et Jackie Berroyer (tous deux excellents) jouent des parents aimants (dans tous les sens du terme), où Julie Depardieu en Sylvie des forêts sert de repère dans la nuit puis, le soleil revenu, se change en un but amoureux, où Katerine nous touche comme lors de ses déambulations autobiographiques dans les quartiers pavillonnaires de son enfance (Peau de cochon, 2005). Thierry Jousse fait un second film intimiste et fantasque, modeste et foutraque. Une marge où il n’est pas mauvais de se promener.

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