Jamais de la vie

Pierre Jolivet, 2014 (France)




Après la crise… C’est la crise. Il y a dix ans Franck a perdu son travail dans un plan de licenciement contre lequel malgré son double acharnement de délégué syndical et de fauteur de troubles il ne pouvait pas lutter. Usé, il a fini par se museler la gueule et aujourd’hui, avec un gilet de vigile, chaque nuit, il fait le tour d’un supermarché de petite ville de banlieue parisienne. Il tue le temps. Se traîne. Bricole. Se fait trois sous et boit. Il a 52 ans, voit de temps à autre sa conseillère de Pôle Emploi (qui n’est pas moins à plaindre que lui). Franck n’a aucune perspective sur rien. Et lorsqu’il punaise la fiche d’avenir qu’on vient de lui imprimer à Pôle Emploi et qui lui promet une retraite misérable à 70 ans plus Les restos du Cœur deux fois par semaine, on ne sait pas vraiment ce qu’il a en tête. On a du mal à croire que lui résilié prenne ce meilleur avenir professionnel possible comme un nouvel objectif à atteindre. Alors pourquoi le garder à la vue sur un mur vide au-dessus du lit ? On pense davantage à cette fiche comme une sorte de memento mori. Un flingue qu’il a confisqué au beau-frère trompé et déprimé est chez lui très à sa portée. Le titre du film lui-même, Jamais de la vie, exclut tout : une retraite à 60 ans, la possibilité de s’en sortir, le bonheur… même par bribes. Jamais de la vie exclut surtout une happy end.

Pierre Jolivet cerne adroitement ses personnages et les acteurs qu’il met en scène sont justes. Valérie Bonneton, la fille de Pôle Emploi qui s’en sort comme elle peu et que Franck séduirait presque, est ici à contre-emploi* simplement touchante. Marc Zinga** qui cache ses propres problèmes derrière une bonne humeur entraînante et avec qui Franck aurait pu devenir ami, est un second rôle en trompe-l’œil, plus profond qu’il n’y parait. Olivier Gourmet lui, ce Franck abîmé, corps pourtant encore capable d’encaisser (L’exercice de l’État, Pierre Schoeller, 2011), est toujours convaincant. Jamais de la vie comme d’autres films de Jolivet montre une humanité toujours oppressée par le contexte économique qui la soumet (Fred, 1997, Ma petite entreprise, 1999, La très très grande entreprise, 2008). Un peu comme si les Dardenne avaient mis un cuir sur les épaules, il introduit aussi une intrigue, à la manière d’un polar, avec une poignée de voyous et une attaque de banque au 4×4. Le suspense attenant se mêle d’abord étroitement à l’attente de Franck et à ses errances nocturnes sur le parking désert. Puis c’est la dernière montée d’adrénaline.

Néanmoins, sans cette action-là, le Franck de Gourmet c’est un peu le personnage qu’incarnait Gustav Kervern, Antoine, dans le joli film de Pierre Salvadori, Dans la cour (2014). Tous deux se sont recyclés et sont chargés de surveillance (de gardiennage d’immeuble pour Antoine). Tous deux sont épuisés et refermés sur eux-mêmes. Toutefois, tous deux n’ont jamais cessé d’aider les autres et donnent même l’impression d’y passer pour qu’un autre (ou qu’une autre) puisse revivre.




* Tante Micheline dans Le skylab de Julie Delpy, ou aux côtés de Dany Boon dans Supercondriaque, 2014, et Eyjafjallajökull, 2013.
** Qui lui enchaîne un premier rôle pour le chanteur Abd Al Malik dans Qu’Allah bénisse la France, 2014, et un tout petit autre dans un James Bond, 007 Spectre de Sam Mendes, 2015.

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