Inspecteur Lavardin

Claude Chabrol, 1985 (France)



« L’œil a une importance capitale pour moi, et j’ai toujours pensé que le regard était le fond de la mise en scène »*


Il a l’œil l’inspecteur et l’œil est partout. Dans cette autre enquête menée avec cynisme et drôlerie par Lavardin (géniale interprétation de Jean Poiret), Chabrol a fait du regard, de l’objectif et de l’œil, à l’image des ciseaux dans Le crime était presque parfait (1954), le motif hitchcockien remarqué dans chaque séquence. Les yeux en verre collectionnés par Jean-Claude Brialy ont quelque chose à voir par leur étrangeté avec ceux géants de La maison du Docteur Edwardes (1945) et les caméras, appareil photo, jumelles épient les faits et gestes de chacun. Comment discrètement tuer dans pareille situation ? D’autant plus que Lavardin le sans-gêne loge impunément chez les suspects, ouvre chaque tiroir et se sert dans chaque pièce.

Dans Vertigo (1958), à la fois chute et mise en abîme, l’œil entraînait le spectateur au fond d’un tourbillon (Bernadette Lafont extatique au milieu de ses plantes aurait d’ailleurs presque le mystère de Carlotta Valdes). Chez le réalisateur myope, l’œil est autant le sien que celui du spectateur qui reste au-dessus de l’intrigue et l’interroge à la manière de l’inspecteur. L’Œil, enfin, est aussi le personnage principal de Mortelle randonnée de Miller (1983) et parce qu’il est joué par Serrault, l’éternel complice de Poiret, que les ambiances y sont froides et les secrets pesants, les deux films entrent en corrélation.

Le cadre bourgeois (non loin de Dinan), les repas de famille, les allusions à la religion et son évitement par Lavardin (la croix retirée au-dessus du lit) constituent l’ensemble des principaux motifs chabroliens qui complètent ce polar français dont le protagoniste même, se prenant pour Holmes flanqué d’un docile Watson, reconnaît l’affiliation anglaise.



* Cahier du Cinéma, Claude Chabrol, cinquantième, moteur !, numéro hors-série, octobre 1997, p. 25.

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2 commentaires à propos de “Inspecteur Lavardin”

  1. Bonsoir, billet intéressant sur un film que j’ai vu et revu avec grand plaisir. L’oeil pétillant voire moqueur de Poiret est irrésistible. Et sa cuisson des oeufs sur le plat inoubliable. Bonne soirée.

  2. Ah, joli billet sur un film que j’aime beaucoup (j’adore vraiment le personnage de Lavardin et l’interprétation de Poiret).

    Une petite remarque : les ciseaux sont aussi un motif langien (Espions sur la Tamise) et on sait que Lang a beaucoup influencé Hitchcock et réciproquement, et qu’il s’agit sans doute des deux principaux maîtres de Chabrol (qui avait cette théorie quelque peu étrange selon laquelle Les espions de Lang constitue la matrice de toute l’œuvre de Hitchcock).

    Donc, difficile de savoir à qui Chabrol fait précisément référence (sans doute aux deux d’ailleurs ce qui doit lui faire plaisir).

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