Incroyable mais vrai

Quentin Dupieux, 2021 (France)

DESCENDRE POUR ARRIVER AU-DESSUS : LA SIMPLICITÉ DUPIEUX

Avertissement : ne rien lire sur le film ne l’éclairera pas plus.

On pourrait croire Quentin Dupieux limite un peu branleur. Je dis « branleur », ce n’est pas pour faire le lien avec l’appareil qui fait un court moment la fierté de Gégé. « Branleur », parce que Quentin Dupieux ferait là un film inabouti. Son format est dans l’ensemble de la production actuelle assez inhabituel, Incroyable mais vrai fait moins d’une heure quinze. Sa dernière séquence, une accélération du temps où la vie de ses protagonistes est avancée en musique jusqu’à la résolution de l’intrigue, pourrait frustrer car paraître comme la solution facile à un scénario un brin flemmard. Pourtant, il n’y a rien de plus achevé que ce dixième long-métrage du réalisateur de Nonfilm (2001). Selon ce que Quentin Dupieux dit dans un commentaire laissé sur le dvd édité par Diaphana, le film livre tout ce qu’il a à donner et la dernière séquence figurait telle quelle dans le scénario.

Pour apprécier Incroyable mais vrai à sa juste valeur, il faut remonter à l’intention de départ : faire jouer Alain Chabat et Léa Drucker ensemble. Rien de très étonnant, Quentin Dupieux a fait d’abord son film pour les acteurs. Le reste peut paraître bâclé, ce n’est pas le soucis. Dupieux a son noyau dur, un couple de cinéma capable d’une alchimie singulière. Alain Chabat est fidèle à son potentiel comique et Léa Drucker adopte un ton plus mélo dramatique. Ils sont parfaits ensemble. Leurs personnages étant ce qu’ils sont ou deviennent, les deux acteurs finissent par avoir en commun une « dissonance infantile » dans leur jeu ; Chabat parce qu’il a toujours gardé en lui quelque chose de l’enfant, Drucker, parce qu’elle laisse son personnage entre émerveillement et caprices et trace un lien direct vers une jeunesse plus que tout désirée. Le duo d’acteurs est un point de départ et leurs personnages forme un couple qui, à cause des éléments extraordinaires imaginés dans le scénario, ne résiste pas au temps qui passe, quelle que soit la vitesse à laquelle il passe.

Le sens du casting s’étend à tous les rôles. En dehors d’Alain Chabat et de Léa Drucker, Anaïs Demoustier et Benoît Magimel s’offrent à leurs personnages avec excès et chacune de leur scène est désopilante. Ils parviennent même avec subtilité (une touche de naïveté ou une pointe de fragilité selon les scènes) à éviter le graveleux inhérent à la performance technologique qui tant les excite. Mais à ce quatuor de décalés, d’autres rôles amusent encore, comme Grégoire Bonnet et Stéphane Pezerat, lui en particulier, pour nous tenir en haleine avec trois fois rien. Les acteurs sont la force du cinéma de Dupieux. C’est d’eux que vient avant tout le plaisir pris à ses films et, avant l’idée, aussi originale soit-elle, qui amène à l’histoire racontée, ce sont eux qui en premier lieu retiennent l’attention (Réalité, 2014, Le daim, 2019, Mandibules, 2020…).

Cette fois, peut-être davantage que dans ses précédents films, Quentin Dupieux sophistique aussi son montage : le rythme jamais précipité des conversations, le sens de l’annonce et de la suspension, les récits croisés, les accélérations… Par de brèves projections sur le proche avenir, la première séquence (l’achat de la maison) brouille dès le début une linéarité temporelle qui plus tard est mise à mal par les événements décrits. Le réalisateur recycle ainsi avec habileté deux trois concepts fantastiques ou quasi SF et enrobe l’ensemble d’une musique hors du temps (des extraits de Bach passés au synthé dans les années 1970 par Jon Santo). Pour le reste, des choses sont esquissées, mais les thèmes ne sont pas aussi bien travaillés que les dialogues. Le film évoque la vanité, ce que c’est qu’être un homme ou le désir de personnages féminins. De ce côté-là, cela ne va pas très loin et on passera vite sur le repli du vieux Chabat avec sa canne à pêche à la main, même s’il s’agit probablement du seul temps « présent » du film. Ce n’est pas la fin que l’on retient, la précipitation qui conduit à cet arrêt en pleine nature face à la rivière. Sans doute parce qu’il est impossible de retenir le présent. C’est tout le dérèglement qui précède, comme les souvenirs qu’il nous en reste. Et pour tenter de l’appréhender à nouveau, c’est simple, il suffirait de redescendre le conduit et d’arriver au-dessus.

Incroyable mais vrai sort en DVD, BRD et Vod chez Diaphana Edition Vidéo, le 18 octobre 2022.

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5 commentaires à propos de “Incroyable mais vrai”

  1. Tu le croques avec amertume mais tu ne sembles pas regretter de l’avoir fait néanmoins. J’avoue que que cette descente dans le conduit dupieusien à haute métaphore sexuelle m’a très largement réjoui. Et j’avoue aussi qu’avec Dupieux il m’en faut peu pour être heureux.

  2. Je vais l’exprimer différemment, mais je crois que je suis sensiblement du même avis. Déception. Dupieux ne me plaît pour l’instant qu’une fois sur deux. Je n’ai pas renoncé à voir tous ses anciens films pour avoir un avis plus juste, mais… ce sera avec moins d’enthousiasme surpris que j’en avais en découvrant Rubber.

    Reste tout de même l’idée d’un style unique dans le cinéma français, ce qui est déjà une qualité en soi.

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