Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés

Marc-Antoine Roudil, Sophie Bruneau, 2006 (France)

« Tous » c’est la population active employée ou en quête d’emploi. Le mal qui les touche ? Le travail. Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau ont posé leur caméra dans les cabinets d’une psychologue et de deux médecins de la région parisienne. Il en résulte quatre entretiens, quatre patients qui expliquent leurs difficultés à ces spécialistes, et un épilogue intitulé « viatique » durant lequel, autour d’une table, les médecins font le point sur ce constat : certains individus souffrent de leur travail et l’impact sur leur santé est bien réel.

La réalisation est très sobre : cadrage de profil des deux interlocuteurs séparés par le bureau ou cadrage en plan rapproché, absence totale de mouvement excepté de courts travellings sur rail (?) dans la dernière séquence afin de donner une « vue d’ensemble » du sujet. Cette façon de faire est très comparable à ce que fait Raymond Depardon dans la 10e chambre, instants d’audience (2004). De plus, les lieux sont vides de tout décor, aucune personnalisation des bureaux, presque des réduits. « Concentrons-nous sur ce que ces personnes ont à dire » suggèrent Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau.

Une gérante en magasin, une manutentionnaire qui travaille à la chaîne, un responsable commercial en entreprise et une aide-soignante témoignent. Ils sont humiliés dans leur profession pour des raisons diverses : mauvaise entente avec le personnel de direction, rythme de travail épouvantable, pressions diverses, cassure entre les tâches demandées et les compétences de la personne… Les situations sont supportables tant que les calmants et les somnifères font effet, tant que les crises de larmes sont contenues ou les angoisses étouffées dans les vestiaires de l’entreprise. Lorsque ce n’est plus le cas, les arrêts de travail s’enchaînent et le doute les oppressent jusqu’à la dépression. Les médecins et la psychologue qui sont à l’écoute n’ont pas toutes les compétences requises pour suivre ces patients. Ils doivent par conséquent puiser des informations auprès de leurs confrères pour les questions de santé et auprès d’avocats pour les problèmes juridiques (rupture de contrat, droits au travail…). En vérité, il n’existe pas de professionnel qui traite spécifiquement de ses liens entre santé et travail. Une nouvelle spécialité médicale serait en train de naître…

Par son propos, ce documentaire rejoint celui de Pierre Carles, Attention danger travail (2003). Dans les deux métrages, les hommes sont à la recherche d’une amélioration de leurs conditions de vie. Le premier rend compte de la discrète dépendance entre l’occupation professionnelle, sa réception par l’esprit, les vicissitudes de ce dernier et un corps fragile qui lui est soumis. Il tente de comprendre ce qui rend le travail responsable du mal être ressenti. Le second montre ceux qui ont trouvé une alternative au travail et vivent d’un autre confort.

Les causes du mal ? Avant de se plonger dans d’agaçants constats sur le bonheur regretté des temps anciens (qu’est-ce qui relève de la représentation ou du mythe dans ces réflexions ?), il n’est pas vain de tenir compte de la diversité des situations. Par ailleurs, l’évaluation des tâches d’un individu peut-elle être négligée ? N’importe quel poste dans n’importe quel domaine se caractérise par ses objectifs et les moyens mis en œuvre pour les satisfaire. Considérer la manière employée n’est-il pas nécessaire ? Toutefois, ces « évaluations » ne peuvent se faire n’importe comment. La psychologue et les médecins remarquent que tout le monde est à la recherche de reconnaissance pour le poste qu’il occupe et que celle-ci est également la cause d’une concurrence professionnelle. Ils établissent enfin que l’avènement de l’individu dans les années 1970 est probablement à l’origine du mal… Sans obligatoirement lever le poing au ciel et marcher pour la révolution, sans envisager un collectivisme moderne et l’installation nouvelle de kolkhozes, il n’est pas inutile de souhaiter que le travail s’organise en solidarités. Les personnes qui témoignent dans ce documentaire ont ce point commun, celui d’avoir été seul et sans soutien. Ni réconfort, ni résistance possible…

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