Hantise (Gaslight)

George Cukor, 1944 (États-Unis)

9 Thornton Square à Londres. Une voiture à cheval s’arrête et emmène loin la jeune Paula (Ingrid Bergman), affectée par les événements qui viennent de se produire dans la demeure. Un meurtre. Celui de sa tante. Le coupable et le mobile restent inconnus. L’affaire est classée et Paula, installée en Italie, tente d’oublier … Jusqu’à rencontrer Gregory Anton (Charles Boyer) qu’elle épouse et qui lui demande de partir revivre dans son ancienne maison anglaise.

L’ambiance privilégiée par George Cukor est celle du suspense qui parfois n’est pas sans affinités avec le fantastique : image d’un noir et blanc vaporeux, fog londonien, craquements et bruits peu rassurants dans la maison familiale, disparitions inquiétantes d’un camée, d’un tableau, d’une lettre. Le spectateur n’a qu’une hâte, c’est que le détective de Scotland Yard (Joseph Cotten) tire Paula de l’emprise que son mystérieux mari a sur elle (il la domine dans les conversations et lorsqu’il l’embrasse, à l’image, il se trouve souvent au-dessus d’elle). Manipulée, la femme si fragile pense avoir des hallucinations, peut-être entendre sa tante revenir… Devient-elle folle ? Plusieurs scènes se distinguent dans Hantise, notamment lorsque Cukor joue avec les ombres des personnages (Gaslight sous son titre original). Ainsi, Gregory entre dans une chambre, Paula reste à l’extérieur à le supplier devant son ombre, puis entre à son tour, mais lui regagne le couloir et l’enferme. Plus tard, alors qu’il est démasqué, attaché à une chaise, et que ses motifs (le meurtre auquel il est lié et les sombres agissements contre sa femme) apparaissent clairs pour tous, elle le domine enfin. Elle joue même avec lui tout en réalisant l’affligeante tromperie dans laquelle il l’a entraînée.

Hantise est adapté de la pièce de Patrick Hamilton, Angel Street, longtemps jouée à Broadway. Cukor s’en détache cependant et baigne ce récit à suspense dans une superbe ambiance, presque gothique, qui convient particulièrement à l’ère victorienne. Hantise peut faire penser à certains des films d’Hitchcock (1940) : Rebecca, notamment car il est aussi question de fantôme, à La Maison du Docteur Edwardes, dans lequel Ingrid Bergman se trouve cette fois-ci dupée par Gregory Peck (1945), et un peu plus encore à Soupçons (1941). En interprétant Paula, et en la dotant d’un caractère plus fragile que ne l’indiquait le scénario, Ingrid Bergman est pour la première fois récompensée d’un Oscar (P. McGilligan, George Cukor, a double life, Londres, Minneapolis, University of Minnesota Press. 2013, p. 176). Notons pour l’anecdote, la présence, dans un de ses tous premiers rôles, celui d’une domestique, d’Angela Lansbury, connue pour avoir résolu un grand nombre d’affaires criminelles dans la série Arabesque.

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3 commentaires à propos de “Hantise (Gaslight)”

  1. Pour avoir vu les 2 versions (celle de 1940 réalisée par Thorold Dickinson), je préfère nettement celle-ci où Charles Boyer est particulièrement odieux. Oh que oui, la scène du grenier où Paula se joue de lui est franchement jubilatoire !

  2. J’adore Ingrid Bergman et j’aimerais bien voir ce Hantise qui pour une raison ou une autre m’a toujours échappé. Pas facile à trouver en DVD (en tout cas, la dernière fois que j’ai cherché).

  3. « L’histoire d’une femme évaporée ». J’ignorais complètement que le gaslighting désigne cette manipulation de la femme par l’homme dans un couple. C’est même à la suite du film de Cukor que le gaslighting devient tour à tour un « mot-clé de la psychologie américaine, puis un outil critique du féminisme, avant récemment de définir un type de langage politique mensonger et la violence qui en découle. » L’écrivaine cinéphile Hélène Frappat sort ce mois-ci Le gaslighting ou l’art de faire taire les femmes aux éditions de L’observatoire et, prenant appui sur le cinéma et livrant entre autres une analyse pointu du film de Cukor, livre un essai sur le concept et ce qu’il permet de dénoncer. Le livre donne envie.

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