District 9

Neill Blomkamp, 2009 (Nouvelle-Zélande, États-Unis)




Le fantastique et la SF tentent de renouveler leur forme, de gagner en réalisme et de susciter davantage d’effroi. La mode technique et narrative du Projet Blair witch (D. Myrick, E. Sanchez, 1999) ne s’est pas déclenchée de suite. Il a fallu attendre presque dix ans et Cloverfield (M. Reeves, 2008) pour que ces vrais faux documentaires, projetés sur grand écran, nous donnent à nouveau la nausée de leurs secousses et de leurs cadrages ratés. Vinrent ensuite tour à tour Rec (P. Plaza, J. Balagueró), Diary of the dead (G. Romero), En quarantaine (J. Erick, D. Dowdle)… District 9 maintenant.

District 9 en appelle à la forme documentaire parce qu’il montre ce qui a été maintes fois diffusé à la télévision. Blomkamp intègre en outre dans son montage de vraies images d’agences de presse africaines. Il n’est toutefois pas fidèle au procédé sur toute la longueur du film. Progressivement la caméra se stabilise et les indices qui concernent la provenance des images sont plus rares (informations numériques, dates et logos qui, dans un angle de l’écran, nous précisent qui filme et avec quoi ; caméscope, caméra de journaliste ou de surveillance).

Une zone d’habitations de fortune s’étale à proximité de Johannesburg en Afrique du Sud (voir les plans aériens). Non pas Soweto, mais un autre township, le District 9. Créé durant les années d’apartheid, celui-ci n’abrite pas des populations de noirs pauvres mais des extraterrestres dont l’immense vaisseau en panne est venu se figer dans le ciel sud-africain dans les années 1980. N’ayant d’autres choix que de venir vivre sur Terre, ces créatures sont devenues des parias faibles et inorganisées que les humains ont enfermées dans un camp surveillé. La métaphore que le mot « alien » recouvre d’habitude dans ce type de film devient quasi nulle tant ces bipèdes à forme de crustacés sont confondus avec les étrangers qui, indésirables, sont parqués dans les camps de clandestins (pensons aux Fils de l’homme de Cuaron, 2006). Les appeler aliens durant toute l’histoire alourdirait l’idée. Blomkamp préfère les désigner par un sobriquet ridicule, les « crevettes ». Comme dans tout bidonville, l’économie souterraine y est florissante (trafics d’armes extraterrestres et de nourritures menés par des Nigérians).

Une force non pas internationale mais privée est chargée du contrôle du District. La MNU a cela de différent avec l’ONU (mêmes véhicules blancs, même logo) qu’elle n’intervient pas vraiment pour porter secours aux populations mais pour les exploiter, les étudier, les disséquer. Les hommes sont horribles (exécutions, maltraitance…) et notre compassion pour les crevettes grandissante. L’histoire fixe bientôt son attention sur un membre benêt de la MNU, Wikus van de Merwe (Sharlto Copley). Suite à une contamination, il subit une transformation physique (il gagne une patte visqueuse à la place d’un bras, perd ses ongles et tombe ses dents ; il rappelle la mutation de Seth Brundle en Mouche, Cronenberg, 1987). Mais pas seulement. Sa place dans la société change ; de dominant il devient chassé, humainement méprisé mais aussi convoité par tous (parce qu’il est le premier hybride, parce qu’il est capable de comprendre la technologie extraterrestre). Le propos du film s’écarte des parallèles politiques pour ne plus s’intéresser qu’au sort de l’individu Wikus. Le fond se perd d’abord dans le changement d’échelle et, au final, dans un shoot’em up qui demeure assez excitant.

District 9 régurgite des combats premier degrés façon jeux vidéo (on pense également à l’armure de Ripley dans Aliens de Cameron, 1986) et d’autres éléments vus ailleurs (de l’usage des ordinateurs dans Minority report, Spielberg, 2002). La première réalisation de Blomkamp rafraichit la SF en raison du territoire investi (les capitaux du film ne sont pas sud-africains mais le sol et le réalisateur si), des catégories sociales évoquées et du profil des extraterrestres (une communauté faible et perdue sans dirigeant). Aliens in township, quelle idée !

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4 commentaires à propos de “District 9”

  1. Attention, voici un véritable OVNI ! District 9 raconte l’arrivée d’un vaisseau extraterrestre sur Terre. Ses occupants ne se montrent pas agressifs envers les humains mais, leur appareil étant en panne, ils ne peuvent pas repartir et sont condamnés à rester sur notre planète comme de véritables réfugiés. Ils sont pris en charge par un grand organisme privé : le MNU (Multi National United, comprenant ses médias, ses marques et même sa propre armée). Devant les tensions montantes entre les humains et les extraterrestres, il est décidé d’évacuer la population de « crevettes » (nom donné par les hommes aux aliens) du ghetto, le District 9, un million de créatures à déporter dans un camp surveillé. Cette opération se fait sous la direction d’un cadre de la MNU : Wikus van de Merwe. Mais les choses ne vont pas se passer comme prévues…

    A l’origine, ce film réalisé par le jeune réalisateur sud-africain Neill Blomkamp sous l’œil du producteur de Peter Jackson (Le seigneur des anneaux, 2001-2003) n’était pas une priorité. En effet, les deux hommes avaient commencé l’adaptation d’un jeu vidéo célèbre (Halo) mais les producteurs américains ont laissé tomber le duo. Peter Jackson a alors monté sa propre société de production. Neill Blomkamp s’est alors attaqué au projet District 9 inspiré d’un court-métrage.

    Lorsqu’on lit le script de base et qu’on voit les premières images, on a l’impression d’assister au remake d’Alien nation de Graham Baker, sorti en France en 1989 sous le titre de Futur immédiat : Los Angeles 1991, mais la ressemblance s’estompe après quelques minutes. Le scénario est en fait très original même si l’on y trouve de multiples références : on pense à Predator de John McTiernan (1985), à La mouche de David Cronenberg (1987) ou à la série V de Kenneth Johnson (1984-1985). Le rythme est intense et les rebondissements nombreux. Le réalisateur casse l’image habituelle du héros en présentant un cadre ordinaire dépourvu de tout charisme, naïf et ignorant. L’atmosphère crasseuse et moite des bidonvilles de Johannesburg en Afrique du Sud tranche avec celle des grandes villes américaines qui cessent (enfin !) d’être prises pour le centre du monde. La réalisation est originale : le film débute comme un documentaire, poursuit caméra à l’épaule comme un reportage pris sur le vif et s’achève de façon plus classique. On peut enfin ajouter que Neill Blomkamp s’aventure sur un terrain glissant en abordant des thèmes comme la xénophobie et la ségrégation. Ce premier film est une véritable réussite, apportant un grand coup de fouet au cinéma de science-fiction.

  2. Ah ! cette scène où, devant les caméras, Sharlto Copley jubile et plaisante sur l’irrésistible bruit de pop-corn que font les embryons d’aliens quand ils éclatent alors que derrière lui ses collègues armés de la MNU passent au lance-flammes les cabanes du bidonville ! La bêtise humaine à la puissance dix ! On ne peut ni mieux dire, ni mieux faire !
    Blomkamp ratisse large (apartheid avec les panonceaux « interdit aux non-humains », nazisme antisémite avec les camps de concentrations et les expériences dignes de Mengele, opérations militaires en Afrique ou au Moyen-Orient avec les cowboys de la MNU, …) pour faire une sorte de compile de tout ce qu’aura engendré notre sens aigu de l’hospitalité désormais réputé dans toute la galaxie.

  3. Oui tout à fait d’accord avec le commentaire de BMR ! Film qui renouvelle vraiment le genre de manière originale et qui lui apporte une dimension sociale et politique unique. Un côté très réaliste à la Cloverfield avec les images d’archives, d’amateurs, de reportages télé, de caméra surveillance, etc… Mais mêlées harmonieusement avec des images ciné. Excellent film qui appelle une suite ( » Je reviendrais, je te le promets! « ), et je suis preneur !

  4. Une géographie des quartiers durant l’apartheid

    Cette concentration dans les townships n’empêche pas les aliens de s’aventurer dans les quartiers des humains. Gilles Candar, historien français explique que des contrôles avaient été mis en place durant l’apartheid pour empêcher les Noirs de circuler en ville. Ils devaient avoir un passeport intérieur et seuls les travailleurs pouvaient accéder à la ville. Les partisans d’une Afrique du Sud blanche cherchaient à repousser les Noirs à la périphérie des villes. Ils les enfermaient dans des réserves appelées Batoustans puis Homelands loin de la société « utile ».
    Le ministre Hendrik Verwoerd était l’instigateur de cet isolement géographique.

    Dans le film, totalement démunis face à ces incursions extraterrestres, les pouvoirs publics ont confié le soin de régler la situation à la société privée Multi National United (MNU). Ce nom évoque un capitalisme barbare, qui lui, est le fruit de l’Homme. L’entreprise sans vergogne planifie de se débarrasser de ces parasites en les repoussant à une centaine de kilomètres de Johannesburg. Elle démarche les crevettes, afin de les forcer à quitter leurs baraquements.

    Néanmoins, les aliens comme les Noirs ne sont pas totalement inutiles. Neill Blomkamp révèle que les autorités veulent mettre la main sur l’armement performant des crevettes. Malheureusement, il ne fonctionne qu’avec leur ADN. Leur présence est donc à la fois une gêne et une aubaine pour le pays. Analogiquement, « la force de travail de la population noire était nécessaire à l’enrichissement des urbains blancs, » souligne Gilles Candar. À ce titre, le pasteur Malan, qui a dirigé le gouvernement sud-africain de 1948 à 1954, trouvait préférable de regrouper les Noirs dans des quartiers spéciaux à proximité des zones industrielles dans lesquelles ils devraient travailler.

    Cette contradiction est mise au premier plan dans le film : l’agent chargé de déloger les crevettes est contaminé par leur ADN. Cela l’oblige à se cacher dans le district 9. Il doit fuir le regard inquisiteur des humains et se protéger de la MNU qui traque son nouveau pouvoir.

    La société sud-africaine ne pouvait pas continuer sur la voie de l’ignorance entre Blancs et Noirs. Si nous connaissons le dénouement des faits historiques, l’intrigue de District 9 reste en suspens. L’humain contaminé aide les extraterrestres les plus intelligents à repartir sur leur planète pour chercher de l’aide. Une sorte de Nelson Mandela qui pourrait leur rendre cette liberté inaliénable.

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