Détective Dee : le mystère de la flamme fantôme

Tsui Hark, 2010 (Chine)




Frapper d’estoc et de taille au milieu d’étoffes qui tournoient ne suffit pas à faire une œuvre flamboyante. De plus, Dee et ses exceptionnels suivants* manquent d’épaisseur et l’enquête qui dicte leurs déplacements manque de matière. L’intrigue se déroule autour de l’impératrice**, d’un seigneur et d’un grand prêtre. En vérité, deux partis seulement (l’État et ses opposants) et deux postures à leur égard (pour ou contre). A l’opposé, Tigre et dragon (Ang Lee, 2000) ou La cité interdite (Zhang Yimou, 2007) donnaient à chacun de leurs personnages (même aux fidèles du pouvoir) des intentions qui au moins leurs étaient propres. Encore que l’on ne puisse retirer au réalisateur l’audace de faire un film autour d’un personnage féminin ayant tous les pouvoirs, dont on peut, qui plus est, soupçonner l’amour lesbien.

L’énigme des combustions humaines spontanées promettait un parcours envoûtant, à la lisière du fantastique, peut-être aussi excitant que celui conduit par Guillaume de Baskerville dans l’enceinte d’une abbaye bénédictine six ou sept siècles plus tard (Le nom de la rose, Annaud, 1986). Malheureusement Détective Dee enchaîne les situations sans temps mort ainsi que les combats comme s’ils stimulaient la réflexion. De cette hâte seul l’ennui profite. Cela d’autant plus lorsque les combats sont confus (dans les bas-fonds troglodytiques) ou, ce que l’on voit aussi maladroit dans Narnia (Adamson, 2004), quand Dee se débarrassent d’un troupeau de cerfs guerriers.

L’action et ses motifs déçoivent. Il en est de même avec les décors. Les toiles de fond numérique pourraient servir de papier peint à un restaurant chinois ; sous des cieux bleus et roses, la terne cité médiévale se perd dans son gigantisme. Au bout de la ville, la statue géante de Bouddha fait passer le colosse de Rhodes pour un nain et les grandes cathédrales du Moyen Âge pour de simples marchepieds. Toutefois, après l’effondrement de la statue, le visage divin tel un masque sert joliment d’abri aux derniers secrets d’État. La tromperie n’est jamais figurée ailleurs de façon aussi habile, surtout pas dans la vilaine transfiguration d’une ésotérique acuponcture, davantage dans l’apparition inquiétante d’un joueur de luth à six mains.

Quoi qu’il en soit, déjà lassé par le récit, les thèmes qu’il développe paraissent manquer d’intérêt. A travers les chorégraphies aériennes et l’impact des coups portés, la pragmatique rigueur d’une enquête et les manœuvres insaisissables du pouvoir, encore symbolisé par l’élévation de Bouddha et son écrasement, Tsui Hark choisit également de confronter évanescence et pesanteur. Comparable cette fois à Zhang Yimou (Hero, 2002), le Hongkongais cautionne l’État chinois (puisque le juge, dissident jadis, rend au pouvoir sa légitimité) et son cinéma, soudain, s’alourdit terriblement.





* Dee est cantonné à son talent de déduction (Andy Lau), Jing’er et Pei Donglai n’ont que mystère et pirouettes pour les caractériser (la belle Bingbing Li et Chao Deng).
** L’impératrice chinoise Wu Zetian (seule au pouvoir de 690 à 705) est incarnée par Carina Lau.

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3 commentaires à propos de “Détective Dee : le mystère de la flamme fantôme”

  1. Ainsi donc, je ne viens pas forcément développer un avis opposé sur le film en général… Mais je suis moins sévère, notamment parce que j’ai apprécié, de mon côté, les scènes d’action.
    La confusion que tu pointes (et le mot est un peu fort à mon avis), il me semble qu’elle « sert » par exemple la longue séquence souterraine, qu’elle ajoute au mystère et qu’elle rend plus acceptable les incroyables sauts, coups et esquives.

  2. Ma note sur ce film n’est pas encore publiée mais nous ne sommes pas d’accord. J’ai aussi tiqué sur la fin mais je me demande ce que j’en aurais pensé si le film avait été japonais et racontait l’Histoire japonaise. Me serai-je demandé si le film validait une « bonne » dictature ?

    Cela étant, le scénario lance des perches au spectateur pour qu’il fasse le parallèle entre régente et gouvernement actuel. Mais je n’y ai pas vu de cautionnement de l’Etat chinois parce que le comportement de Wu Ze Tian n’est jamais excusé : elle torture, ment, tue et contrôle tout. Et le choix de Dee, s’il est ambigu et laisse un goût amer ne m’a paru être une allégeance de Tsui Hark au gouvernement chinois.

    Pour le reste, et je suis un peu plus sûr de moi sur ce point, je trouve le film extrêmement bien réalisé, les personnages très complexes et pourtant décrits en quelques traits de caractères. A ce titre, je trouve que le personnage de la future impératrice très réussi.

  3. Vous avez raison, les mots utilisés, « confusion » ici ou « allégeance » ailleurs, sont un peu forts. Et si Hark manque d’écorcher la politique chinoise actuelle, ce n’est pas ce qui me gêne le plus. De même, la psychologie des personnages est un argument faible (combien de films de divertissement etc. ?).

    Par contre, que la forme ait tant emballé m’a vraiment étonné car je ne l’ai pas trouvé meilleure que dans d’autres films. Dans les combats, je trouve que les mouvements se perdent. Les échanges de coup sont difficiles à comprendre. Les décors virtuels, eux, n’ont aucun charme.

    Je me demande par conséquent ce qui fait l’originalité de cette réalisation, à part l’impératrice.

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