Dans la forêt

Gilles Marchand, 2016 (France)

 Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?
C’est le père avec son enfant.
Il porte l’enfant dans ses bras,
Il le tient ferme, il le réchauffe »
J. W. Goethe, Le Roi des Aulnes, 1782





Tom, 8 ans, et son frère Benjamin, 11 ans, doivent partir en Suède quelques semaines pour passer des vacances avec leur père qu’ils n’ont pas vu depuis un an. Ecran noir. Craquements d’arbres prémonitoires. Tom n’a pas envie de voir son père. Il avoue à sa psy avoir un pressentiment. Celle-ci, pédagogue, le rectifie et lui parle d’appréhension. Mais non, Tom insiste, la définition est exacte et instille ainsi dans notre esprit l’idée de quelque pouvoir surnaturel. A hauteur d’enfant et à travers son regard intense, nous plongeons dans l’immensité des forêts du pays aux 100 000 lacs. Tom et Benjamin découvrent la Suède par le filtre d’un écran de smartphone qui, tel un cordon ombilical, les maintient en contact avec leur mère en France. Le premier regard du père pour le jeune Tom se fait par l’intermédiaire du rétroviseur dans la voiture qui les conduit à l’appartement. Difficulté de la communication directe, l’homme distant, froid, énigmatique a du mal à apprivoiser ses fils. Les retrouvailles ne sont pas chaleureuses, le père semble étranger. Chacun se tient en bordure de son propre monde, comme sur ses gardes.

La première nuit, Tom ne dort pas. Il se lève et voit son père assis dans le noir, le regard fixe perdu loin devant. Tom, comme nombre d’enfants, a peur du noir et son père au lieu de l’apaiser pour le rendormir, reste impassible. Il lui assène : « Tu dors pas ? C’est normal, c’est la pleine lune.. » Puis lui avoue son secret : « Moi je ne dors jamais. C’est une force de ne pas dormir. Ça permet de voir des choses que les autres ne voient pas. » Ce père qui n’est jamais nommé va s’employer tout au long du voyage initiatique en forêt à convaincre son plus jeune fils qu’il est doté de pouvoirs télépathiques, qu’ils sont pareils Tom et lui. « A quatre ans tu étais déjà spécial. T’as un don, tu sais que t’es différent, non ? ». Et on pense ici à un autre enfant particulier de 8 ans, le jeune Alston de Midnight Special (Jeff Nichols, 2016). Tom voit ce que personne ne voit. Tom voit celui qu’il appelle « le diable », une créature défigurée avec un trou béant dans la face, une gueule cassée qui surgit quand il perd de vue son père, quand il se sent seul et abandonné.

Pourtant ce père maladroit tente de tisser des liens avec ses enfants. Il revendique son droit à la paternité et à la transmission. Il veut simplement passer des vacances avec eux. Il les emmène en excursion à travers la forêt, au plus profond des bois dans une étrange maison abandonnée comme pour refermer une bulle sur eux trois, pour consolider la filiation. Il apprend au plus jeune fils à nager, il offre aux deux garçons des couteaux de survie et leur réclame en échange une pièce de monnaie pour ne pas couper le fil entre eux comme le veut la superstition. Il se pose également en père puissant et autoritaire, voire dur quand il interdit aux enfants de communiquer avec leur mère coupant ainsi le cordon symbolique. Enfin il leur fait subir un rite de passage puisqu’il faut dormir à la belle étoile, marcher pendant des heures, cheminer à travers les méandres des rivières tout en traînant derrière soi une barque à travers des bois sombres pour passer ensuite de lac en lac. Et à nouveau on pense à Jeff Nichols et sa façon de filmer la nature, la géographie d’une terre sauvage bordée par les eaux comme dans Mud (2013), film également sur le voyage initiatique de deux jeunes adolescents aux prises avec une figure paternelle troublante, énigmatique, à la limite du fantastique et du merveilleux.

Au détour d’une question sur son rêve le plus cher (mais qui pourrait bien exaucer les souhaits ?), le père bizarre avoue son rêve d’avoir « la vie éternelle », puis se ravise, « non, plutôt vous deux, avec moi, ici, pour toujours »… et nous laisse craindre le pire. Benjamin, le grand frère, ressent un malaise face à cet homme qui fait parfois figure d’ogre de contes de fées, il tente de lui résister. Il s’oppose et entre en conflit provoquant ainsi sa colère et le père marqué physiquement par le mal qui le ronge nous semble sortir tout droit de Shining (Kubrick, 1980).

L’homme est en proie à un mal invisible et souterrain tel les vers de terre trouvés par le jeune Tom dans la forêt sous une pierre juste avant de voir surgir le « diable » défiguré, couvert de boue comme un monstrueux golem au cri muet. Ce mal que le jeune enfant doit nommer pour conjurer le sort. Il faut dire l’indicible, appeler à soi celui qui se tient à la lisière des ténèbres, accepter enfin la part d’ombre de l’humain. Il faut apaiser et guérir, lui donner un nom, mettre des mots sur ses blessures. Il faut prendre sa main avec tendresse, se laisser hisser sur ses épaules de géant, se pelotonner sur sa tête déformée puis, enfin, trouver le sommeil et le repos. Il faut le laisser décider du sort, ne pas rompre le lien entre notre monde et le merveilleux, et dans un dernier cri le faire père. Il faut enfin reconnaître dans un regard lumineux, en état de grâce plein d’amour que ce n’était pas le diable. Il faut entendre les tambours résonner dans un rythme archaïque au plus profond de la forêt glacée, peut-être pour l’éternité.





Date de sortie DVD & Blu-Ray : Pyramide Distribution, 20 Juin 2017

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Une réponse à “Dans la forêt”

  1. J’ai d’abord été curieux. Puis agacé et puis énervé, tant Gilles Marchand et Dominik Moll (qui cosigne le scénario) s’acharnent sur le gamin pour le terrifier… Au point que l’on se dise un insntant que si la mère avait eu la garde exclusive, tout cela aurait pu nous être épargné. Cependant, à s’engager sur ces pistes en forêt, à mieux associer le père et la trogne brisée, à collecter ces images reprises, ré-assemblées, détournées, augmentées de Shining (les pouvoirs psychiques de l’enfant, le diable, ce monstre de père, ses forêts de sapins survolées en hélico, une possible relecture labyrinthique), finalement à comprendre davantage les intentions, on oublie notre agacement du début et on se dit que le réalisateur de L’autre monde (2010) ne manque pas tant que ça son affaire.

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