Chasses du comte Zaroff, Les (The most dangerous game)

Ernest B. Schoedsack, Irving Pichel, 1932, sorti en 1934 (États-Unis)

A peine créée, la Radio-Keith-Orpheum Pictures ou RKO connaît les affres de la crise et une réduction drastique de ses moyens. A cette époque, Selznick* et ses financeurs misent sur King Kong tout en réduisant le budget des autres films. Le scénario du comte Zaroff sous le bras, Schoedsack et Cooper engagent une poignée d’acteurs parmi ceux qui parcourent les plateaux de tournage de King Kong. Ils recourent même aux décors prévus pour la superproduction. L’acteur réalisateur Irving Pichel seconde Schoedsack à la mise en scène alors que Cooper produit et supervise.

Pour ces cinéastes, Les chasses du comte Zaroff sert aussi à tester certaines scènes de King Kong, les éclairages et la profondeur de champ (souvent soulignée par des premiers plans noirs et buissonneux), les mouvements de caméra (travellings des courses effrénées, en plan large, laissant aux protagonistes toute leur liberté de mouvement, ou en gros plan, accentuant l’oppression de la traque) et surtout la fausse jungle. Selon Serge Bromberg**, Les chasses du comte Zaroff est le petit film qui sert de brouillon au gros, King Kong. Quoi qu’il en soit, il est impressionnant de constater que les décors donnent l’illusion d’un espace vaste (l’île sur laquelle les héros sont prisonniers) et qui s’élève parfois sur plusieurs niveaux (verticalité suggérée par les arbres et les lianes bien sûr, mais surtout par les précipices et les cascades). Le rendu à l’écran est surprenant puisque lors de la course-poursuite, tous, chiens y compris, entrent et sortent selon les plans de tous les côtés du cadre. Les plans très larges restent rares (celui d’un tronc renversé devenu pont entre deux rochers) et, resserrés, ils sont la limite à la représentation de ces paysages exotiques.

L’histoire ne se perd pas en développements inutiles (le film ne dure qu’une heure) et s’axe sur l’épouvantable piège qui fait du chasseur renommé Robert Rainsford (Joel McCrea) le gibier idéal du comte Zaroff (Leslie Banks). Dans sa fuite, le charmant jeune homme en profite pour prendre Eve (!) sous le bras. Fay Wray interprète le rôle et, cette fois-ci, les réalisateurs ont souhaité l’actrice brune (peut-être parce que moins innocente que Ann Darrow : Eve fait du charme à Robert et en oublierait presque sa condition de belle en détresse !). L’atmosphère n’est pas négligée. Musée des horreurs (la mystérieuse salle des trophées), marécages brumeux et inquiétants serviteurs cosaques font partie de l’environnement et de l’entourage de Zaroff, au moins aussi terrifiants que lui. En bout de lignée, le comte incarne le dernier avatar d’une noblesse russe chassée de ses terres depuis la révolution bolchévique et le cousinage avec le personnage de Dracula semble proche (non pas la démence mais la situation sociale, l’éternel célibat, les proies humaines, les charmes de l’accent est-européen…). La Universal venait d’adapter Dracula (Tod Browning, 1931), il paraît évident que la RKO souhaitait profiter de l’engouement suscité par le monstre de Stocker sur grand écran.

Les chasses du comte Zaroff intrigue et amuse bien davantage que pour avoir seulement permis les préparatifs de sortie du roi des singes. Par ailleurs, aux côtés de plus récentes chasses à l’homme (entre autres Predator de John Mc­Tier­nan en 1985, Battle royale de Kinji Fukasaku en 2000 ou Les proies de Gonzalo Lopez-Gallego en 2008), il conserve encore, comme Zaroff envers ses victimes, et ce dont témoignent ses nombreux remakes, tout son pouvoir d’attraction.

* David O. Selznick était directeur des productions à la RKO depuis 1931. Devenu indépendant, il produit entre autres Autant en emporte le vent de Victor Fleming (1939) et Rebecca, le premier film hollywoodien d’Hitchcock (1940).

** Dans le très court commentaire offert en bonus du dvd paru aux Editions Montparnasse en 2009. A noter que le dvd propose le film dans sa version d’origine en noir et blanc (61 mn) et dans une version colorisée plus tardive et légèrement plus courte (58 mn). Ces copies sont restaurées, le noir et blanc de la première version est très correct et même si un ou deux passages plus abîmés se perçoivent encore, les Editions Montparnasse ont nettement valorisé ce film qui n’existait en dvd que dans une copie verdâtre et poussiéreuse.

Article publié sur Kinok en septembre 2009.

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2 commentaires à propos de “Chasses du comte Zaroff, Les (The most dangerous game)”

  1. « la chasse à l’homme est supérieure à l’autre chasse de toute la distance qui existe entre les hommes et les animaux » disait l’honoré de Balzac. Voici sans doute l’incunable cinématographique qui s’en fait le plus parfait illustrateur.

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