Brigadoon

Vincente Minnelli, 1954 (États-Unis)




Brigadoon est mal aimé et c’est dommage. Même si c’est vrai que les numéros au début ne nous épatent pas trop. Le premier thème musical sur lequel tout le village écossais se met à danser, la lumière de rêverie conférée à toute la scène, blanche et diffuse malgré les robes, les chaussettes hautes et les tartans multicolores, tout cela peine à nous emballer.

Alors qu’il aurait préféré tourner en extérieur, Minnelli s’accommode pourtant des studios et tire pleinement profit du Cinemascope qu’il expérimente (les nouveautés techniques pour lutter, particulièrement dans ces années-là, contre la télévision) : toute la longueur des décors peints est parfaitement exploitée, les travellings suivent les danseurs d’un bout à l’autre de ces pistes étirées ou même de bas en haut, sur les arêtes des collines parcourues. La mise en scène (couleurs, lumières, brouillards) développe sur la longueur du film la rupture franche et stridente qui se fait entendre lors du retour à New York. Le récit oppose deux lieux, deux modes de vie, le rêve et son désir, la réalité et la volonté de la fuir : Brigadoon, village figé en plein XVIIIe siècle, éternité paisible et champêtre propice à l’amour où Minnelli nous enferme durant l’essentiel du film, et New York, brutalité urbaine et moderne que le personnage de Kelly regagne finalement à contrecœur. L’histoire toute simple se suit aussi sans déplaisir et le couple Tommy et Fiona, Gene Kelly et Cyd Charisse quoique plus emballant ailleurs, finit par nous séduire. Brigadoon est une romance fantastique (comme dans Le village de Shyamalan, la communauté obéit à des règles pour se préserver du temps et du progrès) disneyenne (où sont les petits oiseaux lorsque Cyd chante Waitin for my deary ?), désuète et tout à fait charmante.

L’époque est un tournant pour Kelly. Ce film n’est pas réalisé dans les meilleures conditions et le spectacle de Broadway dont il est tiré a été nettement simplifié. A sa sortie, personne n’en est réellement satisfait. Après Chantons sous la pluie (Donen, Kelly, 1952) et Tous en scène (Minnelli, 1953), les numéros dansés et chantés n’ont rien d’extraordinaire. De plus, depuis Un Américain à Paris (1951), la complicité entre l’acteur et le réalisateur s’est érodée. Et Kelly est inquiet. Un doute plane sur l’exploitation d’Invitation à la danse, film qu’il vient de réaliser et auquel il tient beaucoup. Ce sera un échec. Pour reprendre un titre de chapitre de la biographie qu’Alain Masson consacre à Kelly, « le bonheur sous la pluie » fait désormais partie du passé.




Voir aussi :
– Jean Douchet à propos de Brigadoon, débat filmé au Centre des arts d’Enghien en février 2012.
– L’analyse de Dvdclassik.
– L’article de Strum pour les 10 ans de la Kinopithèque : « Brigadoon : Conte de fée ambivalent et appel du rêve ».

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6 commentaires à propos de “Brigadoon”

  1. Je l’ai vu (et critiqué) il y a juste 2-3 semaines… Un peu déçu, rien que chronologiquement ça cloche, et les chorégraphies sont moins inventives que les grands titres du genre… Plaisant mais sans plus… 2/4

  2. Revenir à Brigadoon confirme l’enchantement qui m’était resté, bien plus que cette appréciation en demi-teinte que j’avais d’abord laissée ci-dessus. L’amour est un temps suspendu, figé en 1754 dans ce village écossais. L’introduction est sublime, ses décors de landes et de collines, les rayons de soleil qui en font apparaître toute la magie (Disney encore : entre la musique et la progression vers la maison des Campbell, on n’est pas loin d’un début comme celui par exemple de La belle et le clochard, 1955 ou, convenant davantage pour d’autres correspondances, de La belle au bois dormant, 1959)… Quelques chansons se détachent aussi par leur rythme et l’engouement suscité.

    « Ne puis-je vous accompagner au-delà de cette forêt
    Sur la colline où pousse la bruyère
    Bercée par la brise légère
    Voilà ce que j’aimerais faire
    Cueillir avec vous la bruyère »

  3. A lire: la très belle déclaration d’amour d’Eric Reinhardt à Brigadoon. Quelques pages qui témoignent d’un coup de foudre adolescent: « […] Je n’avais rien connu d’aussi sidérant jusqu’alors. C’était la première fois qu’un événement extérieur, réel ou artistique, produisait sur mes sens un effet aussi vif […] ».
    Eric Reinhardt, Cendrillon, Le Livre de Poche, 2008.

  4. A chaque fois que je relis cette page du blog, je regrette un peu la critique ingrate ci-dessus.

    Pourtant Minnelli lui-même se débarrasse du film dans son autobiographie. Le film le laisse insatisfait (dès le tournage en studio jusqu’à l’accueil fait au film, froid et sévère). A peine trois pages y sont consacrées sur les 400 du livre.

    Brigadoon est mal aimé… mais on sait bien que cette lande merveilleuse n’apparaît qu’aux cinéphiles qui savent aimer d’un amour véritable.

  5. Brigadoon est pour moi l’un des chefs-d’oeuvre de Minnelli. J’aime sans réserve ce film plus profond que bien des comédies musicales. La production a été difficile et Minnelli n’a pas pu faire ce qu’il voulait. Et puis, ce fut un échec critique et commercial. On peut imaginer que ces deux raisons comptent dans le jugement qu’il porte sur le film. Mais peu importe finalement, les artistes ne sont pas toujours les mieux placés pour juger de l’intérêt de leur production.

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