La bataille de Solférino

Justine Triet, 2013 (France)




Deux tout petits de moins de deux ans trimbalés dans les bras de l’un ou de l’autre, leur mère journaliste, Laetitia Dosch, qui s’efforce de ne pas être débordée par les événements à couvrir ni par une vie de famille a priori compliquée, Virgil Vernier le compagnon haut perché, Vincent Macaigne, le père des enfants qui insiste à coup de cadeaux incongrus pour les voir en dehors de son jour de visite, un baby-sitter en BTS pâtisserie mou du genou, un avocat ou pas vraiment avec un chien gentil au bout du bras, les sarkozistes trublions et une foule partisane de François Hollande, et puis monte le brouhaha des rues d’un dimanche électoral à Paris. C’est quelques heures avant l’annonce du nom du prochain président des Français, les déphasés comme les bien cadrés retiennent leur souffle et reprennent leur vie.

On a d’abord l’impression que la bataille de Solférino a eu lieu dans l’appartement de Laetitia où sur la moquette tous les jouets du monde ont été éparpillés comme l’armée autrichienne le fut par les canons de Napoléon III. Les enfants crient, les parents s’affairent et s’affolent, en fait la bataille n’a pas éclaté, elle se prépare. Sur le terrain, rue de Solférino, Laetitia lutte et se démène entre le direct des émotions recueillies devant le siège du Parti socialiste et son ex filant jusque dans la rue le baby-sitter paniqué et embrouillant tous les autres de sa folle détresse.

Au cours de la nuit, dans un commissariat, on ouvre une parenthèse façon 10e chambre de Depardon (2003). Bien plus tard, après les cohues et les hourras, on attrape des phrases à la Godard en plein vol (« L’imagination dans la vie, dans le quotidien, c’est quoi ? – C’est trop abstrait c’ que tu dis, ch’uis fatiguée, j’ m’en vais. – Mais moi aussi ch’uis fatigué, non, t’en vas pas. »). Du début à la fin, le ton rappelle celui des films de Donzelli comme La reine des pommes (2009). Justine Triet ne relève pas seulement un défit (utiliser l’agitation du 6 mai 2012 pour enrichir sa fiction et disperser ses huit caméras dans la foule), elle valorise l’humain, fait sourdre le grotesque de nos drames inquiets, télescope l’intime et le convulsif à la fluidité des masses.




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