L’architecte de Saint-Gaudens

Serge Bozon, 2014 (France)




C’est une esquisse sur cinq dessins d’urbanisme de Le Corbusier datant de 1945 qui est le prétexte de départ à cette court métrage autour de L’architecture de la ville de Saint-Gaudens. Cette réflexion autour de la ville pyrénéenne est due à l’arrivée massive d’ouvriers suite à l’ouverture d’une usine dans un contexte d’après-guerre. Il s’agit là en effet de loger les nouveaux arrivants sans bouleverser le centre historique, de travailler autour de la topographie du lieu dans un urbanisme rationnel tel qu’il était à l’époque.


La première scène du court métrage de Serge Bozon se situe dans l’atelier de l’architecte interprété par Medhi Zannad : il étudie des maquettes et se plonge dans l’abstraction de son projet par un jeu de mimes que nous retrouverons tout au long du film. Cette scène nous permet de voir, affichés au mur derrière l’acteur-compositeur, quelques croquis et une affiche mentionnant Le Corbusier. C’est la seule véritable référence que nous trouverons dans le film. En fin de projection, le débat ouvert aux spectateurs permettra d’ailleurs à une personne de poser la question « Pourquoi Le Corbusier ? ». Ce film n’est donc pas pédagogique et de toute façon ne prétend pas l’être. Par ailleurs, il nous était proposé de « suivre les traces de Le Corbusier à travers les bâtiments de la ville », mais aucune référence à l’architecture du maître n’est expliquée.

Les bâtiments qui sont présentés ici sont des bâtiments qui font référence dans l’architecture de Saint-Gaudens, mais ils ne sont pas plus marqués par l’architecture moderne corbuséenne que d’autres, de mêmes époques, aux quatre coins de France et d’ailleurs. Le Corbusier a marqué de sa patte l’histoire de l’Architecture. Autre point, c’est une esquisse d’urbanisme dont le projet est parti, or, on ne voit aucune image de grande échelle, de circulations, de liaisons, ou autre durant cette trentaine de minutes.


"L'Architecte de Saint-Gaudens", extrait, "Bagatelle" from Les Films de la Liberté on Vimeo.

Clip réalisé devant La façade du lycée de Bagatelle de Saint-Gaudens.
Architecture de la fin des années 1960 qui évoque le style du Corbusier.


Néanmoins, ce qui reste intéressant dans ce travail, c’est le dialogue. Les échanges entre l’architecte, les usagers et le bâtiment à chaque étape de sa vie : esquisse, projet, usages. C’est une façon originale de présenter et de vivre l’architecture. Ainsi, la voix de Zannad explique les partis pris dans l’élaboration du projet, les volontés du maître d’ouvrage (la maison de l’agriculture et la référence aux fermes commingeoises grâce aux brise-vues), les évidences de certains choix de matériaux et de structures. Puis, sur les chorégraphies de Julie Desprairies, les usagers entrent en scène et évoluent dans le bâtiment. Des mimes sont mis en musique : la vie agricole pour la maison de l’agriculture, un mélange d’adolescents rebelles jouant du rock et de circulations intérieures très réglées pour le lycée, des kayakistes et des plongeurs dans la piscine tournesol, et même un contrôle technique sur un méhari dans un centre Dekra (qui fait figure pour moi de point d’interrogation, je n’ai compris ni l’intérêt architectural, ni même la référence corbuséenne de ce bâtiment).

Après un plan en continu sur l’architecte crayonnant et peaufinant les façades et vues des bâtiments, la dernière scène présente un face à face entre l’architecte et les usagers, ici représentés par une chorale de chanteurs et de musiciens. Les habitants questionnent, expriment les doutes auxquels tout architecte est confronté : ce qui est beau, bien, pérenne… et les nécessités des usagers. L’architecte Zannad répond, rassure et finit pas cette phrase :


« La ville se fait sans moi, elle ne m’appartient pas. »


Un aveu, une humilité ou une façon de se désengager du futur et de la réappropriation des usagers ? Un peu des trois sûrement, puisqu’il faut garder à l’esprit les ravages de l’architecture moderne corbuséenne en urbanisme, avec la problématique des grands ensembles (d’ailleurs proposés par Le Corbusier dans ses esquisses pour Saint-Gaudens !). La fin de la projection est scandée par des cris de joie des jeunes présents dans la salle. En effet, 117 figurants saint-gaudinois sont dans le film. En ce soir du 12 novembre, salle 1, la plus grande du cinéma du Régent, il a fallu amener des chaises supplémentaires pour accueillir tout le monde. Mon deuxième regret est là : aucune publicité à l’échelle de la ville n’a été faite, ne sont donc venus assister à la projection que les figurants et leurs familles ou presque. Les questions, les échanges qui ont eu lieu avec Julie Desprairies, Serge Bozon, Mehdi Zannad n’ont été centrés que sur le tournage : « Excusez-nous, certains sont coupés au montage », « J’espère ne pas avoir fait de fautes sur vos noms dans le générique »… J’ai tout de même appris que le film a été tourné en 1/66 pour resserrer le cadre, que le son en prise directe permet au spectateur une meilleure immersion dans le site…

La question que je me pose encore est donc celle du but de ce court métrage, quelles volontés sont portées par ce film ? Comprendre la ville ? Comprendre l’urbanité ? Le métier d’architecte ? J’aurai voulu que ce film puisse parler à tout le monde, qu’il mêle l’art comme il le fait (cinéma, danse, poésie, création architecturale) sans se dispenser d’un peu de pédagogie pour les non-initiés. Si je suis sortie de la salle sans avoir redécouvert ma ville, encore moins son urbanisme (ni celui d’aujourd’hui ni celui imaginé par Le Corbusier), grâce à ce court, à son originalité, sa singularité, j’ai toutefois appréhendé le métier d’architecte autrement. La vision est quasi onirique, l’expression des engagements de l’architecte assez belle.

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