Allemagne, l’art et la nation

Jean-Baptiste Péretié, 2013 (France)

Un documentaire qui retrace l’histoire de la nation allemande à travers les différents mouvements artistiques de 1800 à 1939 en 52 minutes est-il possible ? C’est ce que tente Jean-Baptiste Péretié avec les éditions Arte dans un film simple et captivant réalisé à l’occasion de l’exposition du Louvre « De l’Allemagne 1800-1939 » (mars-juin 2013). Bien sûr, les thèmes abordés, romantisme, expressionnisme, dadaïsme, « art dégénéré » ou art nazi, mériteraient un développement en soi d’une heure ou deux chacun. Mais, de Napoléon à Hitler, de Friedrich à Lanzinger, ces 52 minutes constituent une première approche très claire sur le sujet.

Peintures et archives se mêlent. Des extraits de films de l’époque illustrent le propos, soit en évoquant le contexte, soit de manière plus symbolique (exception faite des Nibelungen, ces extraits ne sont malheureusement pas identifiés à l’écran et c’est là le seul regret que nous puissions formuler). Le discours du narrateur est quant à lui complété par celui d’autorités : Deborah Lewer, spécialiste de l’art allemand sur la période 1910-1933 (université de Glasgow), Olaf Peters spécialiste d’Otto Dix (université de Halle), Catherine Wermester qui a publié sur Otto Dix et George Grosz (Paris-Sorbonne) et Sébastien Allard, conservateur en chef du Louvre et directeur de publication du catalogue de l’exposition « De l’Allemagne 1800-1939 ».

L’idée de nation, sa lente construction puis son affirmation violente traversent les cent-quarante années résumées. Au début du XIXe siècle, après les guerres de libération des territoires allemands contre Napoléon, outre l’unité linguistique, les patriotes redéfinissent une culture germanique commune, entre autres autour d’un Moyen Age idéalisé. Ainsi, en 1815, dans Ville médiévale au bord d’un fleuve, Schinkel peint une cathédrale gothique au milieu d’une forêt épaisse baignée d’une lumière après orage. Une des tours est encore en chantier. Au premier plan à gauche, une foule accompagne une armée vers l’édifice religieux. L’armée pourrait être celle de Frédéric-Guillaume III de Prusse rentrant d’une bataille menée contre la France. Le style gothique et la forêt renvoient à des éléments de la tradition allemande. « La cathédrale inachevée symbolise un pays dont l’unité est à encore à construire ».

A l’inverse, un siècle après, George Grosz exprime toute sa répugnance à l’égard du sentiment national. Dans Grauer Tag peint en 1921, il place dos à dos un petit employé modèle et un ancien combattant. L’employé a un visage grotesque, porte une sacoche et une règle sous le bras (peut-être une règle d’architecte), a un ruban aux couleurs de l’empire épinglé sur la veste. Le soldat quant à lui est mutilé, a le visage abîmé et s’aide d’une canne pour marcher. Il porte surtout l’uniforme malgré la défaite. Les deux personnages prennent des directions opposées. Un mur encore les sépare. Pourtant, tous deux sont les représentants d’un nationalisme dangereux qui aurait dû disparaître en 1918. D’autant que ce nationalisme persistant n’égaie pas la scène : les bâtiments sont gris, les cheminées sont noires. Et ce nationalisme persistant ne disparaîtra pas non plus avec les années 1920.

Dvd édité par Arte le 30 mars 2013.

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2 commentaires à propos de “Allemagne, l’art et la nation”

  1. On dirait que le documentaire ici proposé a voulu rattraper les « erreurs » faites dans cette exposition qui a provoqué une vive polémique outre-Rhin.

    Ce qui a fait polémique c’est d’une part la longueur de la période étudiée, beaucoup trop vaste (et donc simplifiant à l’excès), d’autre part l’art nazi vu comme « l’aboutissement » de ce siècle et demi de peinture. D’autant qu’il s’agissait par cette exposition de marquer aussi le cinquantième anniversaire du Traité de l’Élysée…

    Dans Les Inrocks, l’historien Guillaume Payen relève que « le IIIe Reich est bien plus vendeur que l’Allemagne d’après 1945 ». L’entretien qu’il a accordé en avril pour le journal révèle d’autres infos sur l’ampleur de la polémique (initiée par exemple par des désaccords entre le directeur du Louvre et celui du Centre allemand d’histoire de l’art).

    Au contraire, dans le Dvd, les courants qui semblent négligés dans l’expo réapparaissent (ainsi l’expressionnisme ou encore ce bonus d’une demi heure sur le Bauhaus), les tableaux dont l’interprétation pose problème sont évités (L’Enfer des oiseaux de Max Beckmann) et la période d’après 1945 évoquée à travers quelques toiles et artistes.

    Ouf ?

  2. Contexte historique

    Madame de Staël avait donné ce titre à l’un de ses plus célèbres ouvrages, et l’exposition s’est justement intitulée : De l’Allemagne.
    Rappelons qu’aux alentours de 1800, il y avait non pas l’Allemagne, mais une multiplicité d’Etats, qui formeront plus tard l’Allemagne, parmi lesquels émergeaient surtout la Prusse, la Bavière et la Saxe, et qu’il n’existait qu’un grand ensemble territorial, le Saint Empire Romain germanique, sous contrôle autrichien à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, mais dont l’existence ne tenait plus qu’à un fil lorsque Napoléon Bonaparte vint s’immiscer dans les affaires italiennes et qu’il écrasa les armées sardes puis autrichiennes dans le nord de la péninsule (1796 a 1800). Devenu Empereur des Français puis roi d’Italie, il pénétra avec ses armées dans le cœur de l’Europe et ses victoires sur les Russes et les Autrichiens mais aussi sur les Prussiens entraînèrent la disparition du Saint Empire et son remplacement par la Confédération du Rhin, association de petits États, royaumes et principautés satellisés par l’Empire napoléonien.

    Inutile de dire que cet état de fait et ces humiliations éveillèrent une conscience nationale chez certains, surtout chez les Prussiens, et que la France qui bénéficiait d’un certain capital de sympathie auprès de certains intellectuels et artistes issus du monde germanique le perdit quand ses idéaux de liberté se muèrent en mouvements de conquêtes. On se rappelle la réaction de Beethoven qui avait d’abord dédié sa Troisième symphonie Héroïque à Bonaparte et qui avait biffé ce nom en voyant comment se comportait Napoléon. On sait que ce dernier avait l’excuse d’avoir combattu en réaction aux multiples Coalitions formées par les puissances alliées contre la France (Russie, Autriche, Prusse, Tyrol, avec l’appui de la « Cavalerie Saint-George » britannique) pour anéantir l’œuvre de la Révolution et de l’Empire français. Mais il reste que l’agresseur était bien notre pays aux yeux des Européens, et cela blessait particulièrement l’honneur et l’orgueil des Prussiens, défaits par Napoléon à Iéna. La Prusse allait être le noyau autour duquel allait se former par contrecoup l’Empire allemand puis l’Allemagne tout court, pays dont la formation n’allait pas se faire sans heurts avec la France, comme l’on sait (guerres de 1870, 1914-1918 et 1939-1945, sortes de contrecoups aux guerres napoléoniennes et réponse d’une toute jeune nation en réaction à la formation d’une nation française assez belliqueuse entre 1789 et 1815 (« Les peuples n’aiment pas les missionnaires armés » disait Robespierre).

    De cette prise de conscience d’une identité nationale germanique autour d’un État puissant comme la Prusse, l’art, la langue et la littérature furent les premiers témoins. Et tout cela autour de la redécouverte d’un Moyen Âge idéalisé qui connaîtra des prolongements jusque dans la musique de Richard Wagner. L’Allemagne s’invente un art qui relie et parle à chaque personne qui se sent concernée par cet aspect fusionnel. Et ce alors qu’en réalité, l’Allemagne reste fière de ses réalités provinciales, plus fortes que la conscience unitaire. Tout l’art allemand de 1800 à nos jours est le reflet de ce double réflexe régional et de cette tension vers le regroupement, et il n’a cessé d’osciller entre ces deux tendances. Que cela aboutisse entre 1933 et 1945 à la barbarie nazie, c’est à la fois ce qui étonne et ne surprend pas vraiment : au Moyen Âge fantastique fantasmé par les Romantiques succède donc pendant un temps le culte des corps athlétiques, de la puissance et de la force brute.

    L’Allemagne semble en avoir fini avec ces vieux démons et elle tente à présent l’expérience d’une hégémonie économique pacifique mais dure à supporter pour les pays de tradition hellénique et aussi pour ceux qui ont subi l’influence latine. L’art allemand présent et à venir nous dira sans doute si l’Allemagne sait enfin pacifier et adoucir son âme pour continuer à puiser dans la culture greco-latine comme le faisaient Goethe et Nietzsche. Le DVD réalisé avec la chaîne Arte est une pure merveille et invite à bien des réflexions.
    François Sarindar (auteur de Lawrence d’Arabie. Thomas Edward, cet inconnu, L’Harmattan, 2010).

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