Les villes de demain – Naturopolis

I. Cottenceau, B. Guerrini et M. Schmitt

DEUXIÈME PARTIE, NATUROPOLIS
OU
LE RÊVE DE LA CITÉ-JARDIN

Les quatre documentaires de la deuxième série du coffret édité par Arte sur Les villes de demain, « Naturopolis », se tournent plus spécifiquement sur les enjeux environnementaux. Ils montrent de quelle manière quatre mégapoles, malgré leur gigantisme (entre 12 et 40 millions d’habitants avec agglomérations selon les villes), réfléchissent à d’autres modes de développement, durable autant que possible, et tentent de se réconcilier avec la nature. New York ne veut plus se contenter des 300 ha de Central Park ou Paris de ses bois de périphéries Boulogne et Vincennes.

De même, Rio qui à l’origine s’est pourtant installée sur une forêt tropicale du littoral a progressivement coupé ses liens avec la nature : mangroves disparues dans la gigantesque baie de Guanabara, marécages et lagunes avalés par l’urbanisation galopante, collines envahies par des milliers de taudis agglutinés (on compte plus de deux millions d’habitants dans les favelas de l’agglomération)… A son rythme, progressivement, par sa pollution et son extension sauvage, la mégapole brésilienne a détruit une partie de la biodiversité locale. Et pourtant, les trois massifs forestiers au sein desquels Rio continue à se développer forment toujours aujourd’hui la plus grande forêt urbaine du monde.

A Rio de Janeiro, depuis la tenue du Sommet de la Terre en 1992, plusieurs initiatives, publiques ou privées, ont été prises pour protéger cet environnement et notamment un projet municipal de corridors verts. L’objectif alors fixé et toujours en vigueur est de désenclaver les trois massifs de Tijuca, Pedra Branca et Mendanha au moyen de couloirs de verdure reliant ensemble ces espaces aux parcs et aux zones urbaines. Assurés concrètement par des reboisements et par la reconnexion des canaux lagunaires, de tels corridors permettent aux eaux de mieux circuler, aux différents écosystèmes de communiquer et ainsi de revitaliser la faune et la flore tropicales. Rio profite en plus aujourd’hui d’un double élan, grâce à la coupe du monde de football de 2014 et grâce à l’organisation des Jeux Olympiques d’été en 2016. Cette médiatisation exceptionnelle assure la concrétisation et l’accélération de projets qui avaient été jusqu’à présent négligés : comme ce fut le cas avec la fermeture de la décharge de Gramacho en 2012 ou la « pacification » des favelas, comme c’est le cas aujourd’hui avec ce projet ambitieux de maillage vert. Parmi les autres exemples décrits pour Rio, on peut encore citer l’initiative citoyenne de Verdejar. Ayant pour ambition de créer des logements durables et d’améliorer les conditions de vie des plus pauvres, elle initie les habitants au ramassage des déchets, au traitement des eaux usées, au tri sélectif, à la culture de jardins potagers… Depuis quinze ans, l’association travaille seule sur l’environnement dans les favelas et jamais les populations n’avaient profité d’une telle mise en valeur de leurs quartiers.

A Tokyo aussi, la priorité est redonnée à la nature. Sans même évoquer les problèmes de pollution, le quatrième documentaire de la série nous informe que par son gigantisme, Tokyo a une très grande influence sur les courbes de températures, au point de changer son propre climat. Les immeubles nombreux stockent en effet la chaleur, bloquent les vents et entraînent sur place une augmentation de la température, que des spécialistes estiment de 3° supérieure à celle de la ville il y a 100 ans. Les espaces verts, capables de réduire le phénomène, apparaissent par conséquent comme la plus évidente des solutions. Et après la catastrophe de Fukushima en mars 2011, la plus grande ville du monde veut être repensée comme une future « mega green city », une vaste cité-jardin. L’idée serait de s’inspirer de l’open-land qu’était la capitale lorsqu’elle s’appelait encore Edo et qu’elle était principalement aménagée par les « seigneurs jardiniers ». C’est pourquoi, la municipalité prévoit comme à Rio ou à Paris un parcours vert à travers la ville, liant par différents couloirs de plantations les îlots de verdures et les différents parcs que compte la capitale. A cette fin, la mairie a prévu de planter un million d’arbres entre 2015 et 2050 et d’ici-là mille hectares supplémentaires avant 2020 (année durant laquelle la capitale japonaise accueillera d’ailleurs à son tour les JO).

A ce qui semble n’être encore qu’une utopie, répondent plusieurs projets bien réels. C’est le cas des toits végétalisés du quartier de Roppongi Hills. Dans l’arrondissement de Minato à Tokyo, les toits de quelques gratte-ciel verdissent et se transforment en rizières. Ces petites parcelles servent notamment d’ateliers pédagogiques où les enfants plantent et cultivent eux-mêmes les grains sélectionnés. Tokyo participe ainsi à sa manière à l’essor de la végétalisation des tours des grandes métropoles du Nord (green rooftops aux États-Unis, Chicago en premier lieu *, mais aussi Bosco Verticale de Milan, tours et façades végétales en Europe). On repense également au concept de « fermes verticales » de Dickson Despommier (voir le reportage de ce nom de Benoît Laborde dans le même coffret sur Les villes du futur).

Non plus sur les hauteurs, mais au sol, le vieux parc Meiji, dont l’aménagement date de l’époque d’Edo, offre une biodiversité mal connue du grand public mais donne une idée de la vitalité possible d’une « nature sauvage » en pleine ville. La présence même des tanukis dans ce parc, animaux chassés et disparus de la capitale depuis l’entrée de la ville dans l’ère industrielle (ère Meiji), est un témoignage de cette capacité d’adaptation et rappelle d’ailleurs tout le propos du chef-d’œuvre méconnu Pompoko d’Isao Takahata (1994). Cette fable écologique d’une très grande richesse montrait la lutte désespérée des clans tanukis contre l’homme et l’envahissement urbain des collines périphériques de Tokyo (construction de villes nouvelles en lieu et place de forêts anciennes comme à Takaga ou sur la colline de Tama). L’exemple de la protection de la forêt de Sayama fait aussi référence à sa façon aux studios Ghibli. Cette forêt de 3500 ha, qui a inspiré Hayao Miyasaki pour créer la créature ô combien emblématique de Totoro (1988), est menacée depuis les années 1980 par l’extension de la banlieue dortoir de Tokyo. C’est l’association Totoro No Furusato National Fund qui se charge aujourd’hui de son entretien aux alentours immédiats de la ville. De même, des biologistes, des botanistes, des agronomes œuvrent pour la protection des cultures maraîchères en centre-ville ou pour celle des espaces agricoles périphériques (le Satoyama qui désigne ces espaces ruraux entre villes et collines, durablement mis en valeur par l’homme ; et plus largement, l’expression est devenue synonyme d’un véritable état d’esprit écologique).

La structure suivie par les quatre films documentaires est à chaque fois la même : un constat sur la croissance urbaine démesurée et une brève présentation historique, cartes ou images satellites à l’appuie, puis après un point sur les problèmes environnementaux engendrés, l’exposition d’exemples variés, d’initiatives citoyennes spontanées ou publiques et planifiées qui cherchent à protéger et à ramener un tant soit peu la nature en ville. Quelque soit le lieu considéré d’ailleurs, les initiatives privées sont florissantes. Ce sont des occupations parfois illégales de zones à végétaliser, comme une parcelle de terre sur un trottoir, ou la transformation d’une friche urbaine oubliée en jardin collectif. On peut alors parler d’un reverdissement citoyen qui prolonge en Europe la logique interrompue des jardins ouvriers. Les préoccupations environnementales ne sont pas non plus oubliées des politiques des grandes métropoles comme on peut le voir avec les exemples développés. A Paris, New York, Rio ou Tokyo, ces initiatives municipales rappellent les « liaisons vertes » et les « ceintures vertes » qui étaient censées au XIXe siècle en Europe relier les villes aux campagnes. C’était déjà la volonté, en pleine industrialisation, de réconcilier les grandes villes avec la nature, d’aménager les espaces verts, de placer les parcs et les jardins au cœur de celles-ci. Depuis le début des années 2000, avec les prises de conscience se rapportant au réchauffement climatique et la remise en question de modèles économiques dévastateurs pour l’environnement, le rêve de la cité-jardin, présenté ici de façon assez optimiste, refait surface.

* Voir sur le sujet, Mathilde Beaufils, Elias Burgel, Julie Chouraqui, Florence Costa, Sarah Dubeaux, Guillaume Frécaut, Luc Guibard, Marion Messador, Emilie Polak, Léo Sun, « Le toit végétalisé, marqueur des dynamiques de distinctions métropolitaines : le cas de Chicago », Géoconfluences, 2015, mis en ligne le 4 décembre 2015 (consulté en décembre 2015).

Détail des documentaires :
Paris: la vieille dame passe au vert (réalisé par Isabelle Cottenceau),
Rio: du chaos à la ville durable (réalisé par Bernard Guerrini et Mathias Schmitt) ,
New York: la révolution verte (réalisé par Bernard Guerrini et Mathias Schmitt),
Tokyo: de la mégalopole à la ville-jardin (réalisé par Bernard Guerrini et Mathias Schmitt)

Article relayé sur la Géothèque (février 2016).

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