Les fils de l’homme

Alfonso Cuarón, 2006 (Royaume-Uni, États-Unis)

Dès le premier quart d’heure, un morceau de Deep Purple, un morceau de King Crimson et une citation des Pink Floyd (le cochon suspendu dans les airs vu de l’Arche des Arts) : le film marquait déjà des points. La réalisation d’Alfonso Cuarón et la forme donnée au métrage sont assez exceptionnelles. Je ne me rappelle pourtant pas de telles prouesses techniques dans Harry Potter 3 du même réalisateur.

2027, l’humanité semble condamnée car plus aucune femme ne parvient plus à avoir d’enfants. Le chaos s’est installé partout sur Terre sauf en Grande-Bretagne, dernier État existant. Une bonne idée visuelle au début du film : Guernica en arrière-plan et Théo, interprété par Clive Owen, devant, le tableau étant annonciateur du chaos et de la guerre dans lesquels le personnage va être ensuite plongé. Tout ce film d’anticipation est baigné dans un réalisme de conflits tels qu’on les imagine ou tels qu’ils sont montrés par les médias : manifestations de rues, immigrés et réfugiés parqués, pelotons d’exécutions, femme au sol criant un cadavre dans ses bras, échanges de tirs entre groupes rivaux, ruines urbaines, slogans aux murs, grisaille ambiante… On pense au traitement des conflits balkaniques ou tchétchènes par exemple par la télévision… La Grande-Bretagne est devenue un État autoritaire et répond par la force à une situation d’urgence (assiégée par les immigrés, elle lutte pour éviter de sombrer à son tour dans le chaos). On sent donc une volonté de politiser le récit. Mais il reste pourtant la question du pourquoi. Et là, Cuarón n’en fait rien. Le monde créé est cohérent et réaliste. L’histoire part d’une bonne idée : la fécondité mondiale amenée à zéro. Mais elle reste simpliste : un déplacement des protagonistes d’un point à un autre pour tenter de protéger une femme enceinte, véritable miracle en ce monde. Bien sûr le voyage ne se fait pas sans obstacle, mais ils ne perturbent en rien la linéarité du récit. C’est un peu vide de sens.

Deux longues scènes sont toutefois marquantes et pallient la pauvreté du récit : celle en voiture, fuite, guet-apens, poursuite jusqu’au meurtre des policiers, le tout filmé en une prise de l’intérieur du véhicule (immersion et stress garantis pour le spectateur), et celle qui avant le dénouement nous plonge dans un conflit urbain (depuis le camp des réfugiés), Théo-Clive Owen avance (la caméra le colle et se déplace avec lui), se protége des tirs et va chercher la femme enceinte dans les ruines d’un immeuble pris d’assaut, le tout aussi filmé d’un bloc ou presque. On pense à L’armée des douze singes pour l’atmosphère de chaos humain (désorganisation, insurrection, revendication politique) ainsi qu’à Full metal Jacket (le combat dans la deuxième partie de film suivi en un seul long plan-séquence, peut-être même moins dynamique que ce que nous propose ici Cuarón). Le film s’en tire donc plutôt pas mal et reste suffisamment prenant, mais c’est ici la réalisation qui donne toute la saveur à une histoire qui manque d’intérêt.





Je rajoute ces lignes de Cécile Murry (Télérama) qui a su voir un sens au récit :

« A sa manière antispectaculaire, tourné avec une brutalité quasi documentaire, le film est un miroir à peine déformant de l’Occident. Cuarón développe un discours rageur et saisissant contre les politiques actuelles de lutte contre l’immigration. C’est pourtant, nous dit-il, parmi ces hommes et ces femmes niés, pourchassés, expulsés, que se trouve le ferment de l’avenir. Les Fils de l’homme, ou le film d’anticipation que notre époque mérite. »

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2 commentaires à propos de “Les fils de l’homme”

  1. Moi ça m’a calmé tout net. L’expérience est cependant essentiellement visuelle car en effet le propos ne va pas très loin. On se contente d’être dans la description d’un futur apocalyptique plutôt crédible. Mais rien que ça c’est déjà énorme. La réalisation est en béton armée, le background est salement travaillé et on y croit dur comme fer. C’est intense, très intense, voire parfois insoutenable…. Sauf la fin, un peu ratée il faut bien l’avouer. Honnêtement, cette espèce de lueur d’espoir que représente le bateau salvateur vide tout le film de son sens. C’était noir et sans espoir, on assistait à l’extinction de l’humanité et puis finalement non, le réalisateur a dû estimer que le pauvre spectateur ne pouvait décemment pas assister à une fin aussi sombre et déprimante.

    Et puis il y a tout de même une chose très juste dans ce film, c’est que même au bord de l’extinction, les hommes continuent de s’entre-tuer.

  2. Peu de gens dans mon entourage ont apprécié ce film à sa juste valeur… Presque tourné comme un docu-fiction, des longues scènes sans coupures comme en direct. Cette scène impressionnante lorsque Clive Owen va chercher une baguette à la boulangerie et quelques secondes après qu’il soit sorti elle explose! Un film que je conseille à tout le monde.

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