The dark knight

Christopher Nolan, 2008 (États-Unis)




Préserver l’espoir face au chaos, telle est la mission que se fixe le chiroptère de Gotham. La tâche est noble mais colossale car le chaos partout s’installe. A cette fin, le chevalier noir offre son sacrifice…


ÉCHAPPÉ DES TÉNÈBRES
L’Épouvantail à présent n’effraie plus. Scarecrow (Cillian Murphy), le précédent vilain, n’est plus à craindre. Une autre progéniture crachée par les enfers est prête à lui succéder. Ce nouveau « freak » est ambitieux, il aspire à devenir directeur général de la pègre locale, il est fourbe et rusé et il a surtout… le sens de l’humour. « Why so serious ?! » s’exclame le Joker (feu Heath Ledger dans un rôle magnifique et écrasant, qui envoie d’une chiquenaude son devancier Jack Nicholson au tapis). Il n’a ni règle, ni limite. Il incarne le mal, le chaos qui se déverse avec facilité sur une métropole égrotante. Ses menaces sont proférées comme d’autres invitent au jeu : « démasque-toi ou les morts vont pleuvoir ! ». Ses cibles heurtent l’opinion courante et d’autant plus l’extrême sensibilité américaine : un hôpital réduit en cendres ou, pour gêner le passage du cortège de policiers qui protègent le procureur Dent, un camion de pompiers transformé en brasier gigantesque (les soldats du feu sont un symbole ô combien précieux aux yeux des Américains depuis le 11 septembre 2001). Le Joker instille partout désordre et confusion : le masque du joker-bouffon n’est plus une invitation à rire mais à frémir à nouveau ; lors de ses diaboliques mises en scène, il change les otages en terroristes sur les ferrys ou ailleurs lorsque ceux-ci portent bien malgré eux des masques de clown ; enfin mis hors d’état de nuire, l’infernal bouffon est suspendu en une ironique position, la tête en bas. C’est ainsi que, par ses inversions en série, il s’affiche comme une figure quasi antéchristique. Le Joker s’efforce de démontrer que l’homme est égoïste et, presque comme lui, « vilain » (« ignoble » au sens étymologique). Pourtant, lors de la scène des ferrys, la population de Gotham, les citoyens comme les anciens criminels, le contredisent. Toute la complexité humaine est alors affichée puisque les actes ne suivent pas les paroles, ni les paroles les actes.


ENGENDRER LES TÉNÈBRES
Le Joker sème le chaos autour de lui, certes. Mais n’a-t-il pas été engendré par l’homme chauve-souris en personne ? De son désir de justice et de sécurité, le super-héros nocturne incarné par Bruce Wayne (Christian Bale, peut-être plus convaincant derrière le masque que ses prédécesseurs) engendre de fades épigones (l’étrange combat contre ses piètres doubles), voire de terribles monstres. Le Joker et lui, selon les propos de ce premier, sont les deux faces d’une même pièce, et, par l’intermédiaire du bouffon au triste maquillage, Harvey Dent (Aaron Eckhart), seul espoir politique de la ville, devient à son tour agent du chaos, l’impitoyable Double-Face. L’incorruptible James Gordon (Gary Oldman) l’avait mis en garde contre cette escalade (Batman begins, 2005)… De son désir de justice et de sécurité, Wayne se place au-dessus des lois. Il a également recours à des méthodes peu respectueuses des libertés (la surveillance de tous les téléphones portables des habitants de Gotham) qui posent même problème à ses proches (Lucius Fox que joue Morgan Freeman)*. L’homme chauve-souris ne serait-il pas lui-même source de chaos ? Il est d’ailleurs né de la Ligue des Ombres (Batman begins). Comment alors ne pas penser à une noire personnification des États-Unis ? Le parallèle politique est fait par le procureur Dent : en cas de crise, Rome laissait agir un césar doté des pleins pouvoirs et censé résoudre la situation… Le chevalier noir au centre de Gotham (la tour Wayne) comme la superpuissance américaine au centre des relations internationales, et tous deux soucieux de rétablir l’ordre (mondial) mais participant pleinement au désordre… Le sur-homme cause de dégâts pour faire le bien s’établit de cette façon comme thème privilégié cette année 2008 (L’incroyable Hulk de Louis Leterrier et Hancock de Peter Berg).

RETROUVER LES TÉNÈBRES
Alors que tout le machiavélisme du Joker se dévoile, et que l’on se résigne presque à ne plus voir dans le justicier masqué qu’une inoffensive pipistrelle (son impuissance dans la batmobile et sur la batmoto, aussi ses principes qui le rendent incapable de tuer un ennemi désarmé), c’est notamment grâce à la population prisonnière sur l’eau que l’espoir est à nouveau permis. A partir de là, le Batman peut enfin balayer l’affreux au sourire figé d’un coup d’aile. Le chaos est cependant répandu et face à lui Batman ne doit pas perdre espoir : Alfred (le flegmatique et très plaisant Michael Caine) brûle une lettre peu réconfortante pour le héros. Gotham ne doit pas perdre espoir. L’image de Dent risque d’être entachée, c’est pourquoi le chevalier noir décide de plonger un peu plus dans les ténèbres. Lui-même double-face, Batman fait le choix (géniale idée !) d’être le responsable de tous les maux de Gotham, un insondable abîme destiné à happer toutes les ombres qui empêchent la lumière de pénétrer la ville…


GOTHAM, VILLE MONDIALISÉE
Du carton-pâte des décors voulus par Tim Burton (Batman et Batman, le défi, en 1989 et 1992), on se retrouve au cœur d’un bouquet de tours de verre et le long de grandes avenues, l’ensemble si caractéristique des métropoles nord-américaines modernes. Christopher Nolan offre par moment des images réalistes de la ville inspirées des films de Michael Mann (on trouve dans plusieurs critiques, Abel Grau dans El País ou Julien Munoz dans Cinema-france, que le réalisateur s’est inspiré de Heat pour la scène de braquage orchestré par le Joker). Pour la première fois, Batman begins réservait à Wayne une sortie hors les murs de Gotham. Dans les précédents épisodes, la ville était à ce point une citadelle refermée sur elle-même que l’on se demandait si elle ne constituait pas seule une ville-monde. C’est en Asie qu’il avait voyagé en 2005 (vers les hauteurs himalayennes), c’est en Asie qu’il retourne en 2008, à Hong Kong précisément pour y chasser un entrepreneur criminel. Ainsi, Gotham s’ouvre enfin au monde… De plus, par les deux films de Nolan et à travers les banques, les entreprises, le marché boursier, l’argent qui la traverse et qui nourrie les métropoles financières de son importance devient visible. La mondialisation de cette cité corrompue est ici plus qu’autrefois apparente.

ÉVOLUTION D’UN GENRE
Les couleurs criardes et l’esprit fantaisiste des adaptations de Joel Schumacher oubliés (Batman forever, 1995, et Batman & Robin, 1997), engloutis dans la noirceur retrouvée dès Batman begins, Christopher Nolan entraîne le personnage vers des arcanes encore inexplorés au cinéma dans cette série. Manohla Dargis dans The New York Times évoque un nouveau genre le « postheroic superhero movie ». La relecture que propose Nolan de Batman est ambitieuse (l’œuvre n’est malgré tout pas exempte de défauts ; sans être maladroites, certaines ellipses sont quelque peu gênantes, des coupes peut-être imposées par le format ou préserver un rythme ?). Il sacrifie un peu de l’efficacité et de l’esthétisme de son excellent premier opus (Batman begins) pour davantage de noirceur, de densité et de complexité. Le chevalier noir est aussi le plus politique qui ait été réalisé dans le genre « super-héros ». Sam Raimi a montré la voie avec Spider-man, Christopher Nolan la suit brillamment. Une nouvelle question se pose maintenant : « L’aube suivra-t-elle la nuit la plus noire ? », comme l’affirme persuadé Harvey Dent avant son accident…





* Dans El País, Abel Grau rapproche Batman et fascisme : « El enfoque que propone Nolan es probablemente inédito en la historia del género y recuerda al de la obra maestra Watchmen, en la que Alan Moore y Dave Gibbons mostraban al superhéroe como una figura poco democrática y algo cercana al fascismo », dans « Batman VI: ¿La mejor película de superhéroes de la historia? », Madrid, 01/08/2008.

Article paru sur Kinok en février 2009 et sur Objectif Cinema.

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6 commentaires à propos de “The dark knight”

  1. Encore une excellente analyse du spécialiste des super-héros : Ornelune ! Félicitations pour ce gros travail sur cette chronique ! Simplement, j’aurais souhaité avoir, en plus de cette analyse complète et pertinente, ton avis personnel, du genre : « j’ai vraiment adoré parceque… Je suis un peu resté sur ma faim parceque… ». Je suppose en effet que tu as bien apprécié vu la chronique, mais c’est vrai que j’aurais aimé connaître ton point de vue plus personnel, que tu dises, dans ton classement du cœur (puisque tu es bien branché sur ce genre-là) où se situe ce nouveau Batman.

    Pour ma part, je sais qu’il faudra absolument que je le revois lorsqu’il sortira en dvd, tout simplement parce que je n’ai pas réussi à rentrer totalement dedans. Disons que je n’ai pas pris ma claque, alors que j’ai l’intime conviction que c’est un excellent film… Mais c’est vrai que je me suis un peu laissé noyer par l’histoire, assez complexe il faut l’avouer, et je sais que pas mal d’éléments m’ont échappés. Néanmoins, je m’attendais à un Joker d’anthologie et je n’ai pas été déçu : de ce côté-là, c’est très certainement le meilleur « vilain » jamais porté à l’écran. Le Joker de feu Heath Ledger est proprement hallucinant, fascinant, hypnotisant… Tous les superlatifs que j’ai pu lire sur sa prestation sont amplement mérités.

    Ce Batman ressemble en fait plus à un thriller, à un polar, qu’à un film de super-héros, car tout est porté sur le scénario : le Joker est en fait un terroriste/gangster qui joue au chat et à la souris avec un super flic du nom de Batman qui, à défaut d’avoir de vrais super pouvoirs, possède des gadgets à la James Bond (voiture, moto, étoiles de ninja…), l’habit noir en plus. De ce côté-là, ce Batman ressemble pas mal aussi à Iron Man (Jon Favreau, 2008), même si le ton du film est autrement plus sombre et uniquement au premier degré. Mais c’est vrai que le coming-out de Batman à la conférence de presse (même si c’était pas lui…) ressemble beaucoup à une scène quasi identique d’Iron Man, tout à la fin du film.

    L’intérêt du film réside plus dans l’éternelle dualité du bien et du mal, aux tourments intérieurs d’un Batman en proie aux doutes et au bien fondé de sa mission : sans lui le Joker n’existerait probablement pas. Cette remise en question, cette bataille entre le bien et le mal au sein même du super-héros peut aussi faire penser au 3e épisode de Spider-man, même si je ne l’ai toujours pas vu.

    Ce nouvel épisode est vraiment un sommet du genre et va bien plus loin qu’un simple film de super-héros rempli d’images fracassantes à couper le souffle. Bien au-delà d’un simple esthétisme visuel spectaculaire, ce Batman-là repose avant tout sur les bases solides d’un cinéma de grande qualité : scénario recherché, personnages dont la psychologie a été étudiée en profondeur (principalement le super-héros et le super-vilain, mais aussi Double-Face) et portés à l’écran par des acteurs de grande qualité. Il faut dire que le casting laisse rêveur avec des seconds rôles assurés par Michael Caine, Gary Oldman ou encore Morgan Freeman…

    Comme je le disais, personnellement j’aurais besoin d’un second visionnage pour l’apprécier à sa juste valeur, mais dans le genre il s’agit vraiment d’un des tous meilleurs films (LE meilleur ?).

  2. Je dois avouer que la série Batman par Nolan est un tantinet moins jubilatoire pour moi que la série Spider-man par Raimi. Mais eu égard à la noirceur et à la complexité du chevalier noir, je pense que Nolan signe un film majeur dans ce genre que l’on ne peut plus considérer mineur. Quoi qu’il en soit ces deux trilogies (je m’avance un peu mais celle de Batman ne fait pas de doute) s’inscrivent comme de savants mélanges entre spectacle et « film d’auteur ».

    Elles semblent en outre assez complémentaires : les deux super-héros sont plein de doutes mais pendant que l’homme-araignée progresse (de jour) dans sa vie (amoureuse, sociale, professionnelle), l’homme-chauve-souris s’enfonce profondément dans la nuit (renonciation amoureuse et sociale). L’image de l’un est positive (le maire lui remet les clefs de la ville de NY, Spider-man 3), celle de l’autre tend à se dégrader (il accepte d’être responsable de crimes qu’il n’a pas commis, la fin de The dark knight). Spider-man accepte le second degré pas Batman. Enfin l’un est estampillé Marvel, l’autre DC.

    Par leur réussite, ces deux trilogies s’élèvent très haut au-dessus des autres adaptations de comics (exception faite du Hulk d’Ang Lee), au mieux très secondaires et ludiques, au pire ratées.

  3. Heath Ledger en Joker comparable à un Anthony Hopkins en Hannibal Lecter, pour la superbe interprétation des rôles qui leur ont été attribués. Une critique d’Ornelune qui m’a plu, je ne dirai donc pas grand chose. Pour ma part Batman c’est celui qui n’a pas de super-pouvoir ; cette scène à Hong-Kong symbolise bien son personnage « dark », tous les atouts de l’homme chauve-souris sont mis en avant. Avec une bande originale qui accompagne bien cet « american-hero-movie ». J’hume déjà l’odeur de la pellicule du 3e Batman directed by Nolan. La rumeur dit que Johnny Depp interprèterait Enigma ou l’homme-mystère (The Riddler), et Philip Seymour Hoffman le Pingouin… Pourquoi pas ? Ces deux acteurs ne m’ont pas déçu dernièrement, bien au contraire. On parle aussi de Catwoman, pour ma part je n’aimerai pas, enlevant le réalisme des deux précédents Batman de Nolan. Catwoman est un personnage complexe qui a son rôle dans les comics, pas dans un film de Nolan.

    J’attends la critique de Babylon A.D. ^^

  4. The dark knight, tout est dans le titre. Ne pas prendre la mauvaise traduction française, on parle bien ici de « dark knight » pas de « black knight ». C’est dire la noirceur du film. En fait, j’ai vu le film il y a deux semaines et j’ai peine à me souvenir des scènes se déroulant de jour (à part la scène d’introduction). C’est donc presque 2h30 de descente aux enfers, et le diable dans tout ça c’est le Joker (mention spéciale à Heath Ledger). Chacune de ses apparitions est impressionnante, on l’attend, on le regarde (bien sûr) et on l’écoute ! Car ses dialogues (ou monologues) sont fouillés. L’humour et la cruauté du personnage se mèlent à merveille (la scène du stylo « tadaaaaaaaa », la destruction de l’hôpital…).

    Ce Joker qui tire les ficelles durant tout le film, il devance tout le monde, il prévoit tout. Si bien que, pendant quelques minutes, Batman n’est plus qu’une marionnette. Le Joker catalyse toutes les mauvaises pensées, les mauvaises actions, il fait ressortir en chacun ce qu’il y a de pire, les plus bas instincts de l’espèce humaine. Il s’amuse à démontrer que Batman n’est qu’une exception, une erreur à Gotham car les gens sont naturellement mauvais. Jusqu’à la scène des ferrys, le tournant du film, la lumière d’espoir.

    Bon mais je ne parle décidemment que du Joker. Est-ce un film de Batman ? On se le demande, d’ailleurs, il n’y a même pas Batman dans le titre du film. Comme Tim Burton à l’époque, Nolan a fait un film sur le Joker.

    C’est presque un nouveau genre de film de super-héros. C’est aussi ce que pense Warner qui vient de décider le « reboot » de la franchise Superman pour repartir sur des bases plus sombre, façon Christopher Nolan.

    Quel bonheur de voir des franchises renaître de leurs cendres, soutenues par des réalisateurs passionnés et décidés à dépasser le stade du film-facile-de-super-héros-tout-public. Encore ! Encore ! Encore !

  5. Ce nouveau visionnage, après l’avoir vu uniquement à sa sortie ciné, confirme tout le bien que je pensais de The dark knight: un film à l’épaisseur dramatique intense, qui s’apprécie d’autant plus lorsque la veille on a commencé par Batman begins. Si le premier volet montrait Gotham city proche de l’univers de Blade runner (ruelles sombres et crasseuses, SF à fond) et un côté plus romanesque (tout le flash-back de l’enfance et son initiation dans les décors naturels enneigés et montagneux de la Chine), Dark knight est résolument ancré dans le présent, dans un urbanisme démesuré non pas futuriste mais très actuel. Les vues aériennes des buildings sont magnifiquement filmées (surtout lors des scènes en très haute résolution avec l’IMAX, cette caméra révolutionnaire). Outre Blade runner, Christopher Nolan s’est aussi inspiré de Heat et certaines images font même penser à Inside man de Spike Lee (les voitures de flics qui bouclent le périmètre à l’extérieur de la banque lors du braquage). Allez, la trilogie est bientôt achevée, on croise les doigts pour que le prochain volet soit encore au-dessus!

  6. The Dark Knight est conforme à la veine autoritaire qui se dégage des BD de Frank Miller (qui, depuis, a basculé dans une hystérie parano à la limite du racisme lorsqu’il considère le monde musulman comme un repère inépuisable de terroristes…) : au sein de la cité (au sens grec du terme), l’état de droit n’est plus capable d’assumer le maintien de l’ordre. Le maire est couard, peut-être corrompu. Le modèle d’une justice impartiale et droite incarnée par Dent est voué à l’échec : l’angélisme et la morale ne font pas bon ménage. Dent éprouve dans sa chair traumatisée et sur son visage bifide la dualité de la justice : punition exemplaire et utile ou basse vengeance titillant les mauvais instincts de l’Homme…

    Face au chaos terroriste engendré par le Joker -fascinant personnage post-punk qui aime le chaos pour le chaos, qui illustre surtout le non-sens de la violence urbaine contemporaine après le 11 septembre, dénuée de justification historique, morale ou idéologique – Batman représente la seule alternative sécuritaire crédible. Non démocratique car rejetant toute procédure et tout respect des droits individuels (contrôle des espaces publics par les caméras -le « syndrome Big Brother« , rejet de la loi réglant les conflits au profit d’une brutalité vengeresse, posture iconique et sexy du « vigilante« ), curieusement appuyée par la police à travers le personnage du sage inspecteur Gordon. En bref, l’insécurité urbaine justifie le recours à une sécurité excessive, affranchie du droit : le voilà, le fascisme, rampant durant deux heures trente de métrage, nourri par un incroyable production design (monumentalité des gratte-ciels gris ou noirs, proches des croquis d’Albert Speer pour le nouveau Berlin qu’avait prévu Hitler après 1945).

    Cela dit, Nolan et Goyer, en très habiles scénaristes, retournent leur position de manière dialectique : en un sens, le Joker n’est-il pas le dénonciateur du déséquilibre que Batman a introduit dans l’écosystème politique et criminel de Gotham City ? En appliquant une justice extrême d’inspiration fasciste, en déniant à la justice légale toute souplesse dans l’appréciation des crimes perpétrés au cœur de la cité, Batman a radicalisé la réaction des « méchants », générant sans le vouloir une violence pire que celle qu’il combattait d’ordinaire. Au fond, si le chaos fait le lit du fascisme (voir le Patriot act de l’administration Bush au lendemain des attentats du World Trade Center), le fascisme peut aussi engendrer le chaos. Une pensée politique construite comme un ruban de Moebius, qui travaille la mémoire et la conscience du spectateur-citoyen.

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